Tremplins des Fous Rires de Bordeaux 2018

Le festival des Fous Rires de Bordeaux arrive Ă son terme. La deuxiĂšme Ă©dition sâest terminĂ©e par les tremplins dĂ©couvertes. Le spot du rire Ă©tait sur place lors des deux demi-finales. On vous raconte le parcours qui a menĂ© François GuĂ©don Ă la victoire !
Tremplins découvertes : un niveau hétérogÚne
Jeudi soir, le Café Théùtre des Chartrons est rempli. Et pour cause : le festival a concocté une programmation de grande qualité. Sur les cinq potentiels finalistes, quatre étaient à mon sens dans un mouchoir de poche.
Encouragements pour Marion et Barbara Laurent
Câest un duo qui ouvre le bal : Marion et Barbara Laurent. Deux personnalitĂ©s antagonistes qui vont crĂ©er un rapport dâopposition, deux visions de la fĂ©minitĂ©. Barbara opte pour la fougue et la candeur, Marion est plus pragmatique et charrie sa consĆur. La dynamique entre les deux femmes est quelque peu tĂ©lĂ©phonĂ©e, la thĂ©matique des ex dĂ©jĂ bien utilisĂ©e. Un instrument vient essayer de noyer le poisson, mais ça ne prend pas. Les deux humoristes obtiennent toutefois de nombreux rires : lâhumour est quelque peu potache, passe assez bien. Pour lâinnovation, on repassera. Elles ont ainsi ouvert la soirĂ©e en proposant toutefois un passage travaillĂ© et correct, juste assez dĂ©jĂ vu pour que le public averti reparte bredouille.
David Voinson enflamme Bordeaux
Autre style, autre Ă©nergie : David Voinson arrive sur scĂšne survoltĂ©. Il Ă©volue presque Ă domicile et parle du bassin dâArcachon et des personnes ĂągĂ©es qui le peuplent⊠et lui donnent envie de jouer Ă saute-mouton. Impeccable sur le rythme, il a bien compris comment on fait de la scĂšne. Jâai apprĂ©ciĂ© la technique, le dĂ©bit de parole, les idĂ©es parfois Ă©patantes et les interactions malignes. La soirĂ©e a vĂ©ritablement commencĂ© Ă ce moment-lĂ , le niveau est montĂ© dâun gros cran.
Jean-Philippe de Tinguy ne joue plus
Jeudi, câĂ©tait jour de grĂšve SNCF⊠Or, Ă lâinverse des cheminots aux abonnĂ©s absents, Jean-Philippe de Tinguy a fait une apparition dans la ville oĂč il a grandi. Il nâen a pas parlĂ© du tout, et nâa pas tentĂ© dâamadouer le public pour les inciter Ă voter pour lui. Si vous avez Ă©coutĂ© lâĂ©pisode dâUn cafĂ© au lot7 avec Louis Dubourg, vous nâĂȘtes sĂ»rement pas surpris de lâapprendre. Sinon, on vous encourage Ă mieux cerner le personnage.
En toute dĂ©contraction, il sâest donc amusĂ© sur scĂšne, sans fioriture et avec un medley des crĂ©ations de ces derniĂšres annĂ©es. De la nouveautĂ© en dĂ©but de passage, et un mĂ©lange du reste, bien articulĂ©. De quoi ravir ses parents, qui profitaient de son passage pour le voir jouer !
Entracte : un mot sur la présentation
Avant dâaborder les deux derniers humoristes, parlons de la prĂ©sentation. Deux professionnels du spectacle vivant se sont prĂȘtĂ© au jeu. Lâan dernier, Aymeric Lompret et Jo Brami avaient rĂ©alisĂ© le job. Et cela sâĂ©tait mal passĂ©. Lâannonce dâun humoriste homme, annoncĂ© comme « la troisiĂšme femme de la soirĂ©e », Ă©tait plus que gĂȘnante.
Câest donc un choix Ă©ditorial diffĂ©rent qui a conduit deux prĂ©sentateurs pas vraiment Ă lâaise dans lâexercice Ă se donner en spectacle. Ils ont jouĂ© le jeu, mais câĂ©tait difficile pour eux. Une connaissance des artistes insuffisante les a embourbĂ©s dans lâerreur lors de la premiĂšre soirĂ©e. Ils ont vantĂ© la prĂ©sence dâhumoristes belges lâan passĂ©, alors que le lendemain, ils en avaient 3,5 sur 5 dâorigine belge !
Le pire Ă©tait le lancement des humoristes. Quelques spoils du passage ruinaient les effets. Celle qui en a le plus pĂąti, câest Tania Dutel. Celui qui sâen est le mieux sorti, câest Jean-Philippe de Tinguy : une promotion lue mot pour mot, dictĂ©e par lâhumoriste et jamais dĂ©viĂ©e car minimaliste.
Tania Dutel Ă la peine
Quand on a affaire Ă un talent du rire, on oublie parfois quâil peut trĂ©bucher. Tania Dutel nâa donc pas Ă©tĂ© servie par sa promotion et semblait mal Ă lâaise. Elle mâa confiĂ© ne pas ĂȘtre une humoriste taillĂ©e pour les festivals, en dĂ©pit dâun vĂ©ritable succĂšs sur une heure. Je comprends tout Ă fait : câest le genre dâhumoriste qui se distingue sur une entrevue plus longue, on a besoin de la connaĂźtre vraiment pour lâapprĂ©cier pleinement.
Au demeurant, Tania est trĂšs efficace en scĂšne ouverte. Le samedi prĂ©cĂ©dent, elle Ă©tait Ă la finale du Campus Comedy Tour. En la voyant, je me suis dit quâelle Ă©tait redoutable, de plus en plus forte. Son style et son angle scĂ©nique la hissent rĂ©guliĂšrement en tĂȘte de lâapplaudimĂštre. Le texte est intelligent, le passage sait sâapprĂ©cier. Mais peut-ĂȘtre est-ce un peu trop moderne pour les festivals ? Ă mĂ©diter.
François GuĂ©don, lâefficacitĂ© scĂ©nique
Le passage de François GuĂ©don Ă©tait millimĂ©trĂ©. Avec un angle intĂ©ressant : insuffler de la littĂ©rature dans la tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ©. La fin du sketch, une Ă©quation sur la consanguinitĂ©, mâa moins plu. En fin de soirĂ©e, une telle complexitĂ© peut mettre KO le public, surtout sâil est de passage Ă Bordeaux et extĂ©nuĂ© par sa journĂ©e de marche.
Jâai regardĂ© avec curiositĂ© le passage de François GuĂ©don au Fieald. Le dĂ©but, une sĂ©duction par une posture dâorateur, mâavait plu la premiĂšre fois. Or, le revoir mâa semblĂ© faux. Ce nâest pas un problĂšme pour un concours axĂ© sur les dĂ©couvertes : lâeffet de surprise marche Ă plein rĂ©gime. Le problĂšme, câest connaĂźtre la chute, vulgaire et dĂ©calĂ©e par rapport Ă la beautĂ© du moment prĂ©cĂ©dent. Cela dĂ©clenche des rires, soit, mais on nâen garde pas un souvenir stupĂ©fiant.
La partie sur la tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© Ă©tait la plus convaincante. La musique dynamise le tout, lâinterprĂ©tation et le texte sont au rendez-vous. CâĂ©tait suffisant pour battre les 4 autres humoristes. Lâorganisation mâa confiĂ© que pour cette soirĂ©e, la victoire sâest jouĂ©e dans un mouchoir de poche. On veut bien la croire : quel niveau !
Catherine Demaiffe : aĂŻe
Le lendemain, retour aux Chartrons. La salle est toujours aussi bondĂ©e. Les prĂ©sentateurs sont beaucoup plus Ă lâaise que la veille. Aucun faux pas de leur cĂŽtĂ©, beaucoup moins dâhĂ©sitations. Il faut souligner la rĂ©activitĂ© du festival dâapprendre de ses menus dĂ©fauts.
Il faut dire quâils ont Ă©tĂ© intelligents sur lâordre de passage. Jâignore si câĂ©tait un hasard, mais chaque soirĂ©e sâest ouverte sur la prestation la moins aboutie. La veille, câĂ©tait difficile pour Marion et Barbara Laurent de tenir la comparaison, mais elles ont rĂ©ussi Ă insuffler de vrais rires. Vendredi soir, Catherine Demaiffe nây Ă©tait pas.
Maman cynique, Catherine Demaiffe dĂ©butait un passage sans Ă©lĂ©gance, assez vulgaire. Le bruitage de pet, vraiment ? Je regrette de voir cette humoriste proposer un angle qui ne lui sied pas. On peut faire de lâhumour noir sans forcer le trait, avec de lâesprit. LĂ , les blagues Ă©taient collĂ©es les unes aux autres, les rires quasiment inaudibles. Je nâai pas compris la finalitĂ© de cet humour, qui manquait de justesse. La sauce nâa pas pris, mais son actualitĂ© Ă©tait surtout liĂ©e Ă des courts et longs mĂ©trages⊠Peut-ĂȘtre quâelle nâa pas trouvĂ© la bonne discipline oĂč Ă©voluer.
FĂ©lix Radu change de registre
Favori de cette soirĂ©e, FĂ©lix Radu rĂ©alisait une prouesse. La victoire de cette demi-finale nâĂ©tait pas garantie pour le Namurois. François GuĂ©don utilise lui aussi la littĂ©rature pour sa prestation scĂ©nique. Je nây croyais plus autant.
Or, au fil de la soirĂ©e, jâai constatĂ© que le plateau Ă©tait moins relevĂ© que la veille, et assez homogĂšne dans la vanne un peu grasse. Bref, FĂ©lix Radu avait carte blanche pour proposer une bouffĂ©e dâair frais. La prestation de haut vol lui a permis dâemporter le public avec lui. Tournant son jeune Ăąge et sa vulnĂ©rabilitĂ© sur scĂšne en avantage, il parvenait Ă conquĂ©rir la foule.
Celui qui veut faire oublier sa comparaison avec Raymond Devos impose de plus en plus son clown. Il dit vouloir jouer avec les silences et emmener le public dans son monde poĂ©tique⊠Ăa mâa alors frappĂ© : il nâĂ©tait plus aussi proche de la philosophie de François GuĂ©don, mais de celle de Jean-Philippe de Tinguy ! Une bonne chose que la grĂšve SNCF (probablement ?) lâait dĂ©viĂ© sur la deuxiĂšme journĂ©eâŠ
Thomas Angelvy : du rythme et des clichés
TroisiĂšme humoriste Ă passer, Thomas Angelvy commence par des interactions avec le public. Un peu vaches, elles embarquent la salle dans de nombreux rires. Un humour efficace, mais que jâai toujours trouvĂ© frustrant. Opposer les hommes et les femmes sur des clichĂ©s (le nombre de gels douches multipliĂ© par 30 quand une fille entre dans ta vie, les pieds froids)⊠Câest du rĂ©chauffĂ©, mais ça a le mĂ©rite de fonctionner encore. Je le respecte en dĂ©pit de cette opinion assez personnelle et biaisĂ©e par tout le stand-up malin que jâingurgite Ă longueur dâannĂ©e.
Thomas Angelvy a travaillĂ© Ă la radio, chez Voltage. Ce bagage lui permet de connaĂźtre les travers des hommes et des femmes et de les vanner avec quelques clichĂ©s, certes, mais un vrai bagout. Sâil sâessaye Ă un autre registre Ă lâavenir, je parie quâil saura se rĂ©inventer pour le meilleur. Mais câest lui le maĂźtre Ă bord, je lui donne carte blanche pour sĂ©duire le public !
Pierre-Emmanuel alias PE : une once de déception
Jâai dĂ©couvert PE au Cactus Comedy, arĂšne autoproclamĂ©e de lâhumour piquant. EmballĂ©e par sa prestation, je regardais avec attention le passage. Jâai trouvĂ© quâil y avait quelques rĂ©pĂ©titions, sur son rappel de lâĂąge et lâanecdote de la poule. Dâautres facilitĂ©s liĂ©es Ă lâusage dâune trompette.
En revanche, jâai retrouvĂ© les dĂ©calages audacieux qui font sa force. Lâhumour est un peu lourd, mais il arrive Ă ne pas tomber dans la vulgaritĂ© par un charisme et une bonne humeur indĂ©niables. Ce nâĂ©tait pas son meilleur passage, mais il y avait tout de mĂȘme des moments bien pensĂ©s.
Biscotte et sa guitare
PrĂ©sentĂ© comme gagnant de plusieurs festivals par le prĂ©sentateur, Biscotte se tirait une balle dans le pied. Avant de continuer, avertissement au lecteur : jâai une opinion tranchĂ©e sur lâusage dâun instrument. Je trouve que câest se cacher derriĂšre un contenu pauvre et en tirer un avantage. La musique, câest agrĂ©able. Sans elle, les mots pĂšsent plus lourd.
Biscotte chante extrĂȘmement bien, sa voix est faite pour la prise de parole. Bon orateur, il maĂźtrise la technique. La guitare est parfaite, mais le texte ne suit pas. Jâai apprĂ©ciĂ© la derniĂšre partie avec les mots en allemand, jâai ri malgrĂ© moi. Mais jâai trouvĂ© ça facile. Je reconnais que Biscotte a une dĂ©contraction et un charme sur scĂšne qui lâaident Ă plaire Ă lâauditoire. Dommage dâĂȘtre trop juste sur les paroles Ă mon goĂ»t.
Une affaire de goût : aparté sur les festivals
Les festivals dâhumour sont un exercice difficile. Souvent injuste, mais agrĂ©able pour le gagnant. Peu reprĂ©sentatif, mais valorisant aussi. Le problĂšme insoluble, câest que lâhumour est subjectif. Peu importe le gagnant, que lâon connaĂźtra dans quelques heures : rien ne remplace une dĂ©couverte dâartistes personnelle. (MĂ J : François GuĂ©don a remportĂ© les tremplins, bravo Ă lui !)
Dans lâhumour, il y a des injustices. Comment dĂ©cerner des prix financiers ou symboliques ? Alors quâon finit par trancher parmi des personnalitĂ©s, sur des critĂšres opaques car lâhumour, câest un rapport dâĂ©motion. Jâai dĂ©couvert plus rĂ©cemment cette essence de lâhumour qui rend ce milieu aussi attachant. Rire, ce nâest pas simplement faire travailler quelques organes et Ă©mettre des sons amusants. Câest lâacte de bouleverser lâautre avec ses tripes, sa vision du monde et ce petit truc qui rend chacun de nous unique. Ce nâest pas donnĂ© Ă tout le monde. Et il y a deux entitĂ©s qui doivent sâengager dans ce dialogue : lâartiste et le spectateur.
Alors, si vous nâavez pas vu lâartiste qui vous plaisait triompher, vous pouvez le soutenir en le suivant sur scĂšne et les rĂ©seaux ! Comme ça, le public reprend le pouvoir et ce ne sont pas uniquement les producteurs qui dĂ©cident de qui vous fera rire.
Crédits photo
© Aurélien Cadret & Loïc Cousin