Sélection Paris Best de l’Humour – J’étais membre du jury !
Les Best de l’Humour organisent des présélections pour la finale du 29 janvier dans de nombreux lieux. À Paris, j’ai assisté aux 2 soirées pour départager 38 humoristes en 2 finalistes. Retour sur cette expérience qui m’a beaucoup appris.
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Sélection Paris Best de l’Humour, acte I : Clément K et le reste du monde
Au début, je savais que Clément K tentait sa chance. Pour moi, connaissant le fonctionnement du concours, il allait gagner cette première soirée et ma présence ne serait pas utile. En voyant les sélectionnés, j’ai pensé que Marc Tourneboeuf avait aussi ses chances. Son expérience (entre cours Florent, théâtre, cinéma…) le plaçait dans la catégorie des pros.
Ensuite, j’ai appris qu’il se lance dans le seul-en-scène. C’est sûrement pour ça qu’il jouait la carte du mec à découvrir. Avant de le voir sur scène, j’espérais qu’il en avait plus à offrir qu’un joli minois et un positionnement marketing sur la poésie. Been there, bro.
Enfin, j’estimais que Klotilde allait se distinguer. Deuxième selon mon classement, elle termine finalement troisième derrière Marc. Le reste, mis à part Maxime qui semblait un peu original, on aurait pu s’en passer. Je dis cela comme un professeur avait dit à Roman Frayssinet :
Tu m’as fait perdre mon temps.
Evidemment, aujourd’hui, Roman est une rock-star de l’humour. Je souhaite que les personnes qui participaient aux sélections s’en souviennent et ne prennent pas pour vérité générale ce que j’avance. Je peux me tromper, je livre simplement mon opinion. J’aspire à ce qu’ils me prouvent le contraire et me fassent fermer mon clapet. Continuons.
Bien sûr, il y avait Thomas Angelvy. Mais c’est le genre de talents qui apparaît dans de nombreux tremplins sans qu’on ait envie de l’aider. Il est très bon niveau jeu et interactions… mais ses sujets sont vus et revus. Les rapports homme-femme avec supplément clichés, sérieusement ? Au moins, il a eu la jugeote d’enlever la partie sur le Philippin.
Sans surprise, Clément K a remporté cette manche haut-la-main devant quelques adversaires et figurants. Je les juge surtout sur l’originalité, certains n’apportaient rien de nouveau ou n’avaient pas le niveau. Le lendemain, j’étais à l’anniversaire d’Alexandra Pizzagali et Mo Hadji, qui gère les Best de l’Humour, m’a invité à proposer des gens pour la soirée suivante. Il m’expliquait alors que le Théâtre du Marais n’avait que ce show-là le lundi suivant. Il pourrait donc prendre son temps et proposer de nombreux artistes.
Sélection Paris Best de l’Humour, acte II : infiltrer Pierre Thevenoux comme un ninja
Au départ, je n’ai pas trop réfléchi à qui je pouvais suggérer. J’avais dit que je ferais un retour le samedi, mais j’étais trop occupée à migrer les adresses des plateaux sur Mapstr. Le dimanche matin, je me réveillais enfin : j’avais deux idées. J’hésitais entre Pierre Thevenoux et Morgane Cadignan. J’ai opté pour le premier choix, parce que je pense qu’il peut plaire au-delà de Paris. Le spectacle de Morgane est trop axé sur la génération Y parisienne.
Je lui ai donc proposé en lui vendant l’expérience au mieux. Voici un extrait :
Je pense que tu me permettrais de passer une meilleure soirée en tant que jury et que ça te permettrait de gratter des dates pépouze en province.
J’ai le sens de la formule, que voulez-vous.
Pierre accepte, je soumets donc l’idée à Mo. Et là, patatras ! Mo estime que cela serait injuste pour les personnes qui ont passé le processus de sélection. Je lui explique que je ne savais pas qui l’avait fait. En somme, j’avais vraiment envie de relever le niveau du concours. Mo a beau faire beaucoup de communication, les candidatures sont souvent bien en-deçà du niveau minimum requis à mes yeux.
Le circuit du Paname contre le reste du monde ?
Déjà, vis-à-vis de la scène stand-up actuelle, la proportion de participants est très faible. Vous ne verrez jamais des Fadily Camara, Paul Dechavanne ou même Louis Dubourg dans ce type de concours. Et Mo semble même s’en désoler. Quand je lui explique que Pierre n’a peut-être pas eu connaissance de l’événement, il me rétorque qu’il fait partie de ceux qui ne jurent que par le Paname Art Café.
Pierre, je t’ai défendu. Je lui ai répondu que tu étais prêt à faire des scènes pétées en banlieue. Bon, dans l’exemple que j’avais en tête, je parlais d’une soirée à Saint-Maur des Fossés où tu étais programmé. En réalité, c’est Ghislain Blique qui t’a remplacé, car tu étais malade ce soir-là. Pour de vrai, tu n’as pas fait semblant.
Tout ça pour dire que Pierre est un stakhanoviste des plateaux et qu’il aurait pu jouer les premiers rôles dans une sorte de hold-up. Là encore, je ne savais pas qui était présent au deuxième round.
Sélection Paris Best de l’Humour, acte III : 26 comiques, 4 heures de show, les nerfs à vif
Contrairement au premier soir, j’ai décidé de me rendre au théâtre un peu plus tôt. Mo est déjà là, avec deux humoristes que je n’ai jamais rencontré et Thibaud Agoston. Je me dis qu’il est suisse et ne comprends pas trop ce qu’il fait là. Il ne pouvait pas jouer à la sélection suisse, alors il passe ce soir. Désolé Pierre, comme quoi, il y avait peut-être de la place…
Bon, je suis cynique. Surtout que Thibaud Agoston, s’il fait honneur à la réputation des humoristes suisses, va sûrement offrir un très beau passage au public. Je ne l’ai jamais vu, je sais juste qu’il joue son spectacle à La Petite Loge, un bon signe. Un branquignole de moins : c’est exactement le flot de mes pensées à cet instant.
On accède finalement au théâtre par l’entrée des artistes. A cet instant, Marion Mezadorian répète la nouvelle version de son spectacle Pépites qu’elle reprendra le lendemain. Les humoristes vont donc tous se retrouver les uns après les autres dans cet espace confiné. L’un d’entre eux me confie que ça va être dur, parce que Paul Mirabel est là. Ma réaction, pour les autres, est immédiate : « Ah, merde… ».
Paul Mirabel, en ce moment, dézingue absolument tout. L’étudiant le plus drôle de France en titre ferait même oublier qu’il a succédé à Nordine Ganso… J’ai de la peine pour mon interlocuteur, car je sais que c’est probablement plié.
Pourtant, Paul n’est pas serein. Il se démène pour mettre en place le kakemono France Bleu sur la scène, et personne ne lui vient en aide. Certains ricanent même dans une ambiance de colonie de vacances. Ensuite, je l’aperçois en prise à un véritable stress. Quand tout le monde vous attend et que vous n’êtes pas dans le circuit depuis longtemps, délivrer à chaque fois n’est pas simple. Je sais que c’est une posture et qu’au fond, il sait qu’il est capable de gagner ce truc, mais il ne le montrera jamais.
Sans langue de bois : levons les suspicions de conflit d’intérêts
Un autre me dit qu’Agoston aura les faveurs du jury, car Mo le soutiendrait. Je ne peux rien en dire, comme je ne le connais pas. Encore une fois, Mo n’officie pas dans le jury.
Après tout, on en revient encore à ce déficit de candidatures. Les humoristes peuvent se dire qu’ils n’ont aucune chance car ils suspectent un conflit d’intérêts. Or, si en festival, les dés sont parfois pipés (coucou Top In Humour, un peu), il existe un précédent qui prouve le contraire. Mauves de Rire 2017 : la troupe de Mo Hadji est presque au complet, accompagnée notamment de Marion Mezadorian. A l’époque, elle était étonnée de gagner, parce qu’elle pensait (comme beaucoup, sans doute), que Félix Radu était vainqueur d’office. Or, Marion a remporté ce festival émergent.
Selon un autre humoriste qui travaille avec Mo, ce dernier se révèle intransigeant avec ses poulains lorsqu’ils ne font pas le job. Mon interprétation : Mo gère avec passion un certain pool d’artistes et un festival d’envergure internationale (le Liban est dans la place, les gars…). Il peut avoir un biais pour ses artistes, c’est humain, mais il ne les favorisera jamais d’office. Je n’ai pas vu la moindre trace d’influence pour untel ou untel lors des deux soirées.
Le niveau est anormalement bas
Par contre, pour l’année prochaine, j’ai une requête. Je comprends l’envie de donner sa chance à de nombreux artistes. Il avait déjà établi une présélection, mais parmi les 26 présents ce soir-là, j’en aurai retenu 3 ou 4 max. Au global, il aurait pu se contenter d’une soirée d’une heure avec 6 ou 7 humoristes.
Bon, je dis ça, mais j’ai vu quelque chose d’incroyable. Pierrick Vidal, un humoriste qui a quelques scènes dans les pattes, a terminé deuxième du concours entre Paul Mirabel et Thibaud Agoston. Son passage évoquait son rôle d’éducateur d’élèves en SEGPA. Les blagues sur ce type de population étaient lourdes et peu originales à mon goût, mais le reste du jury semblait bluffé. Il a habilement joué le moment d’émotion à la fin, pour rendre son passage humain. Cela pourrait n’être qu’une affaire de goût, mais lors de la première soirée, Maxime Garcia a plu grâce à son originalité mais le jury ne l’a pas vraiment bien placé, faute d’expérience. Cela manque de consistance, mais ce n’est pas évident.
D’autant plus que ces derniers jours, le festival des Fous Rires de Bordeaux a dévoilé la programmation de ses tremplins. L’impression que le niveau a baissé en 2018 se confirme. Il y a en effet un creux, même si de nombreux talents émergents sont malheureusement aux abonnés absents. Remettons aussi cela en contexte : en 2018, certains humoristes étaient décevants dans ces tremplins. Et je n’ai toujours pas compris la victoire de François Guédon. Les goûts et les couleurs…
Jury : gare à l’influence du groupe
La soirée a duré quatre heures. Elle était si longue que je n’ai pas vu le jury délibérer jusqu’au bout (merci le dernier métro). J’ai laissé mon papier avec mon tiercé gagnant : Paul Mirabel, Thibaud Agoston et Brahms. En réalité, je pense que j’ai préféré Thibaud, mais j’ai appris là une chose essentielle sur le rôle de jury. Quand vous hésitez, vous vous ralliez naturellement au groupe. C’est un biais cognitif du cerveau.
Le cerveau aimant la répétition, entendre sans cesse des louanges sur Paul et le voir passer en dernier alors que tout le monde était épuisé a augmenté mon appréciation. Dans le jury, il y avait une spectatrice qui a un rire… reconnaissable. Elle n’en pouvait plus de s’esclaffer, et a confessé par la suite qu’elle ne riait pas vraiment pour la prestation, mais pour l’ambiance d’alors.
Entendons-nous. Paul Mirabel a été très bon. Ce moment a sublimé sa prestation, qui allait de toute façon être correcte. Ajoutez à un bon tirage le fait de passer après une dizaine de mecs pas au niveau et vous obtenez un triomphe. Je les aurais objectivement mis ex-aequo, Paul et Thibaud.
Même si j’ai trouvé sa voix différente sur scène et dans la vie, j’ai adoré le passage de Thibaud. Il y avait le talent du comédien, une fougue dans le jeu et un texte ciselé au plus près de la justesse. La fin, c’était juste un moment de grâce. Marc Tourneboeuf, qui a une fin similaire, pourrait en prendre de la graine car c’était encore un cran au-dessus !
Sélection Paris Best de l’Humour, acte IV : apprentissages
J’ai appris beaucoup dans ces soirées. La compétition entre humoristes a révélé que dans le milieu, les stand-uppers du circuit classique sous-estiment Clément K. La raison principale, c’est qu’il joue un peu moins qu’eux. Après, connaissant le garçon, je sais qu’il a de quoi plaire au public – à la Petite Loge, c’est déjà le cas. Mo le décrit en off comme le futur Guillermo Guiz, une analyse évidemment prématurée qui le dessert.
D’ailleurs, Clément a tout du type modeste. Je vois dans les commentaires de ses adversaires la peur d’être mis de côté pour des raisons partisanes. Certains humoristes présents dans ces soirées-là travaillent d’arrache-pied. Ils en veulent, ils ne trichent pas et ils n’ont souvent personne pour gérer leur carrière. Comme Clément, ils travaillent à côté car ils ne vivent pas encore de leur art. Je peux comprendre leur réaction, même si elle n’est pas recevable. En tout cas, j’aimerais vraiment que pour 2019, le niveau s’élève. Je veux que la décision soit difficile, et les talents plus nombreux.
Je formule donc ce conseil aux humoristes : dépassez vos préjugés et postulez pour l’année prochaine. Parce que si je suis encore jury, je ne tolérerai plus de blagues d’humoristes de foire avec des faux poils pubiens apparents. Je sortirai de la salle si je suis témoin d’un ajustement de sous-vêtements qui dure plus de trois minutes. A l’inverse, j’ai eu de la peine pour Tatiana Djordjevic, qui était au mauvais endroit pour prouver son talent. Pour finir, je vous avouerai que contre toute attente, le jury a fait preuve de justesse sur Paris. Qu’il en soit ainsi lors de la finale ! Je n ’y serai pas, et ça va durer longtemps, alors allez-y avec un thermos et des pantoufles.
Mise à jour : Paul Mirabel a, sans surprise, remporté la finale. Dauphin, Clément K démontre que les sélections parisiennes ont révélé les meilleurs talents dans le cadre de ce festival.
Crédits photo
© Laura Gilli, photo prise lors du Campus Comedy Tour