Jury humour : Dr Jekyll, Mr Hyde ou Frankenstein à l’affiche ?
La semaine dernière, j’ai publié un article suite aux sélections des Best de l’Humour 2 à Paris. Violente, pas toujours précise : cette publication de jury humour a remué les artistes, présents ou non, et toute l’équipe du spot du rire pour l’occasion. Je voulais revenir avec un peu plus de recul sur l’expérience.
Devenir jury humour rend-il inhumain ?
Je viens d’achever une semaine éreintante. Lundi dernier, en rentrant chez moi, l’adrénaline me maintenait en éveil. J’ai sous-estimé la violence émotionnelle de tels concours. Jusqu’ici, je les avais vécus avec plus de distance, mais me retrouver forcée à juger des artistes aussi variés était plus violent que je le pensais.
Avez-vous idée de la personne que j’étais, deux ans plus tôt ? Impressionnée par des types qui jouaient devant vingt personnes, je promettais de ne jamais critiquer personne. Sinon, je vous avais dit que vous pouviez m’engueuler. La belle affaire : ne pas se mouiller, c’est facile.
Je savais que je devais écrire sur l’expérience de jury humour, et que j’allais être dure. Pendant la semaine, encore fatiguée physiquement et émotionnellement, j’ai changé d’attitude.
Pour l’humour, c’est un peu pareil. Je suis passée de tout le monde il est beau à quel niveau déplorable sans ménagement. Et vous savez quoi ? Je ne suis plus sûre de l’endroit où je me situe.
L’erreur est humaine
Cela fait plusieurs mois que je doute. Si j’ai sorti mon texte au forceps, histoire de mettre cette histoire de jury derrière moi au plus vite, j’en ai écrit quelques autres dans un cahier. Vous ne les lirez jamais : ma plume est devenue anormalement hésitante.
Il y a quelques mois, j’ai appris que Merwane B avait été touché négativement par ma critique de son 30-30. Je n’ai pas vraiment les détails, puisqu’on m’a rapporté les faits. Je n’ai pas aimé la sensation. C’était mieux lorsque j’étais complètement gaga, même si ça faisait ricaner tout un chacun. Après, la critique n’était pas virulente et, si je l’écrivais, c’était parce que je commençais à attendre quelque chose de Merwane. Si je n’espérais rien de lui, je n’aurais rien écrit du tout.
La critique suivante est un peu plus douloureuse. Je ne l’ai pas formulée immédiatement, et je n’aurais pas dû le faire. Rosa Bursztein a proposé que j’assiste à son spectacle à la Petite Loge. Or, elle a bidé et j’ai décidé de la juger sur cette heure-là. Aujourd’hui, j’ai reçu plusieurs témoignages d’humoristes, qui consomment suffisamment de stand-up pour formuler des critiques constructives. Ces artistes me disent que Rosa Bursztein joue son spectacle de manière magistrale, et que c’est même mieux que celui de Morgane Cadignan.
Moralité : ne prenez pas pour vérité générale les critiques humour. Si nous sommes critiques, c’est que nous ne pouvons pas faire le boulot. Oui, même le boulot de ces artistes qui nous déplaisent lors de festivals : on ne peut pas le faire, on n’oserait même pas une seconde.
Jury humour : la part de soi dans le jugement de l’autre
Avec cela, le timing n’était pas bon. J’ignore à quel point cela a eu un impact, mais j’ai traversé des difficultés dans ma vie hors humour ces dernières semaines. J’ai même perdu de vue un type que je trouvais incroyable 24 heures après la fin de mon expérience de jury, mais que je savais ne pas pouvoir côtoyer plus de six mois.
Je ne vous raconte pas ça pour que vous me plaigniez ou que vous ayez une idée précise de ma vie. Simplement, parfois, lorsqu’on fait preuve d’agressivité sur un sujet donné, cela couve quelque chose. C’est important que vous le sachiez pour remettre en contexte mes récents écrits plus pessimistes sur les tous jeunes talents. Il y avait 20% de mauvaise foi et 20% de frustration liée au format de festival. Sentir le stress des humoristes, communicatif, m’atteignait sans que je ne m’en rende compte. A l’inverse, il y avait 60% de tripes… C’est aussi pour ça que la raison m’échappait lors de l’écriture, brute et brutale. Je me battais, mais je ne savais plus trop pourquoi.
Le chemin difficile pour trouver sa voix
J’espère retrouver mon envie de me réjouir de l’humour et un peu de légèreté. Je vais aussi essayer d’oublier l’histoire avec Kader Aoun, qui a fait grand bruit apparemment. Plus j’y pense, plus je crois que c’était une rencontre ratée qui m’a définitivement détournée du Paname Art Café. Ce mec, j’ai semble-t-il touché quelque chose en choisissant d’écrire sur lui à l’époque. Or, début février, il tiendra une conférence avec des stand-uppers au Théâtre du Rond Point. Il y parlera visiblement du combat de sa vie : apporter un ascenseur social aux gens de banlieue, et plus largement toute la jeunesse humoristique, par l’humour et le rite initiatique vers le succès et l’élite, en quelque sorte. C’est à peu près tout ce qu’il veut évoquer publiquement, comme un combat d’une vie.
C’est drôle, parce que je comprends son combat (je le comprenais déjà avant). On se rejoint dans cette volonté de faire sauter les barrières et tutoyer tout le monde. La méthode est différente, mais le constat est là : ce milieu est violent, impitoyable et injuste. Le tout est de trouver sa voix et raconter les belles histoires lorsqu’elles émergent.
Plus que jamais, j’ai besoin de vous pour ça. Merci de votre fidélité et des retours très nombreux que j’ai reçus, cela m’aide à trouver l’énergie pour continuer et essayer de le faire avec la sincérité du stand-up. Même quand la mauvaise foi se pointe, parfois.