Censure et humour : à qui profite le crime ?

Juliette Follin 06/03/2019

Mêler censure et humour, c’est avoir le goût du risque, surtout si on ajoute France 2 et le CSA. Le spot du rire relève le défi en vous invitant à y réfléchir !

Je vais vous épargner la question « Peut-on rire de tout ? », car plus personne n’a envie d’y répondre. Je veux simplement vous rappeler certains événements, et vous inviter à y réfléchir et forger votre propre opinion.

Censure et humour : quand France 2 passe l’humour au scalpel

Généralement, les affaires qui font parler les médias pendant 48 heures passent par la télévision. Les médias vont ensuite se précipiter sur un sujet facile à évoquer, car ils ont des images prêtes à montrer.

Haroun coupé au montage

En 2017, Haroun diffusait une vidéo pour expliquer que France 2 a coupé une partie de son passage sur scène dans l’émission Le grand show de l’humour.

Forcément, la France est un pays où les défenseurs de la liberté d’expression rappliquent immédiatement. Bande de censeurs ! J’avoue adorer cela, et on va en reparler ensuite… mais cette vidéo est surtout intéressante parce que le format télévisuel travestit l’humour.

C’est un peu comme les débats politiques en télévision : au meilleur moment, on coupe, parce qu’il y a la pub. Pendant ce temps-là, personne n’a rien dit pour faire avancer la chose.

Laura Laune zappée d’antenne

En février dernier, Laura Laune devait apparaître dans l’émission Le grand oral sur France 2. On lui a demandé d’interpréter une chanson en hommage à la France à sa sauce. Vous le devinez, les téléspectateurs n’en ont pas vu la couleur. Par contre, Laurent Ruquier, remarquable dans son stand-up chez ONPC (sic !), animait bien la soirée.

Encore une fois, c’est grâce à un extrait sur scène et diffusé sur internet que vous pouvez savourer cette création artistique. Vous ne m’en voudrez pas si je pense que la question à se poser n’est plus la même. Maintenant, demandons-nous que (ou qui) peut-on encore entendre ?

Censure et humour : effets d’aubaine

Connaissez-vous l’expression « le gendarme de l’audiovisuel » ? C’est la définition que les médias aiment attribuer au CSA. Chacun peut saisir l’institution pour signaler un dérapage à l’antenne. C’est après cela que France 2 a trouvé un moyen habile de se séparer de Tex. Une vieille blague sur les violences conjugales, c’est sûr que ça ne fait pas très XXIe siècle.

Récemment, dans l’émission de Cyril Hanouna, Jean-Marie Bigard a ressorti l’un de ses classiques. Une blague de mauvais goût sur le viol, ça allait certainement se terminer en censure, non ? On peut le voir comme ça, mais je vous propose un autre prisme.

Je ne savais pas que Jean-Marie Bigard était sur Twitter. Le jour de mon anniversaire, il a enregistré une vidéo en selfie pour s’indigner. Privé de tournée estivale, il a rétorqué qu’il viendrait quand même jouer pour 5 euros la place. Il nique le système, Bigard. Mais au moins, si vous l’aimez, il vous coûtera moins cher #buzzman.

J’ai un côté polémiste qui commence à se chauffer. Moi qui aime autant entendre Charles Consigny, Gilles-William Goldnadel et Yassine Belattar (ça fait mon quatre heures, leurs joutes verbales), je suis ravie. Je me remets sur RMC, je regarde leur analyse où chacun dit ce qu’il pense, et la vie continue.

L’humour inclusif : une recette pour ne plus offenser personne ?

Pour éviter ces problèmes de dérapages ou de signalements, certains lieux font attention lorsqu’ils sélectionnent les humoristes. Dans la nouvelle génération, une conscience commence à monter : faire attention à ne blesser personne quand on essaie de faire rire.

Vous les lisez sur les médias modernes, et effectivement, cela semble séduisant sur le papier. La seule réserve, c’est que quand on commence à intellectualiser l’humour et tenter de le limiter, on peut l’appauvrir.

Revenons à Laura Laune. Comme le souligne le blogueur H16, cette histoire fait suite à un reportage où France 2 avait intégré une blague de Laura Laune qui avait fait polémique. On vous en avait déjà parlé puisque France 2 avançait tranquillement que les humoristes femmes étaient trash.

J’en profite pour reproduire une partie de cet article, avant que l’UE ne nous interdise de faire ça au nom d’un article 13 qui risque de foutre un bordel monstre sur YouTube et les médias internet… Je pense que l’auteur s’en fout, il est libéral, alors ça ira.

En pratique, la façon dont l’humour est maintenant « géré » par les médias officiels (à commencer par le service public) reflète surtout le décalage entre l’intelligentsia franco-parisienne et le reste de la population qui s’est, elle, habituée à piocher ses informations, ses interactions et ses humoristes sur Internet et ses réseaux sociaux, au grand dam des jacassants qui n’ont pas de réels moyens pratiques ni de la faire revenir sur les canaux qu’ils contrôlent, ni d’exercer vraiment une emprise durable sur le réseau mondial.

Hashtable, 22/02/2019 – Source

Censure et humour : un malaise sociétal

Je vous l’avoue, je suis mal à l’aise et en même temps très contente. Ces histoires qui s’enchaînent montrent surtout l’écart abyssal entre ce que certains pensent bon pour le plus grand nombre et les attentes d’un public loin d’être homogène. N’oublions pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions…

Et si on essayait de laisser le choix au public ? Si c’était à lui de décider s’il veut voir (ou non) un type parce qu’il est blanc et qu’il porte des dreadlocks, et non pas à un plateau de le bannir pour lui ? Le militantisme, ça va cinq minutes.

Qu’on le veuille ou non, le grand public se moque du plagiat, des débats sur l’humour et autres discussions stériles. Il veut rire, et si possible gratuitement sans sortir de son canap’. Au passage, niveau plagiat, je vous invite à voir cette vidéo toute fraîche. C’est fin et brillant, et c’est encore signé Mauvaise langue (à partir de 10:47) !

Crédits photo

© Laura Laune, prise par Laura Gilli

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