Coulisses des awards : 5 enseignements majeurs
Pendant 18 jours, vous avez départagé une soixantaine d’artistes et autant de lieux d’humour. La première édition des awards du spot du rire, lancée de manière expérimentale pour pallier la fermeture des théâtres, est riche en enseignements. Voici 5 d’entre eux ! Découvrez les coulisses de ces awards inédits jusqu’ici…
1. Les outsiders prennent le pouvoir
Connaissiez-vous le vainqueur de la catégorie « plateau d’humour de l’année » ? Les amateurs de comédie underground un peu nerds, oui. Cela fait beaucoup d’anglicismes dans une phrase, j’en conviens.
Comment vous décrire les 7 blagues de cristal ?
Je ne suis pas sûre d’être la mieux placée pour cela, parce que les références me sont vraiment étrangères. C’est un plateau de niche… parmi les plateaux de niche. Ce lieu est très populaire auprès des humoristes car il propose des formats innovants et qu’il est à contrecourant de tout ce qui se fait ailleurs.
L’histoire des 3 humoristes à sa tête, Walid, Georges et Adrien, est assez classique. Il s’agit de nouveaux humoristes qui créent leur plateau parce que c’est le meilleur moyen de jouer quand on débute. Seulement, ils misent sur une détermination défiant toute concurrence. Leur plateau, ils le vendent, ils le portent à bout de bras. Il est clivant, sans concession : soit vous aimez, soit vous détestez. Toujours est-il que ce plateau affiche généralement complet. En plus des passages classiques, des intermèdes de sketches et autres phrases scandées à tue-tête rythment et dynamisent ces soirées d’un autre genre. Dépaysant, mais admirable en soi.
Pour remporter cet award, ils ont mobilisé leur réseau comme personne d’autre. Messages privés envoyés manuellement, lives Twitch (!) accompagnaient les traditionnels partages sur les réseaux sociaux. Je les ai même soupçonnés de fraude… Au lieu de se démonter, ils sont restés calmes, ont apporté les preuves de leur bonne foi. J’ai constaté l’effort colossal et je me suis inclinée. Respect.
Derrière les 7 blagues de cristal, le néant
Lors de l’annonce des résultats, les humoristes étaient nombreux à considérer cette victoire comme méritée et à les féliciter en public. Pourtant, cette catégorie est pleine d’étrangetés. Le Barbès Comedy Club a reçu 10 fois moins de votes !
Avoir laissé cette catégorie libre n’a pas livré un classement objectif. Mais cela a créé une autre dynamique, offert un coup de projecteur inédit à des projets indépendants. Par exemple, certains plateaux d’humour en province ont montré qu’ils existaient et ont remporté l’adhésion de nombreux votants. Connaissiez-vous l’Orlinz Comedy Club à Orléans ? Ou bien l’Angers Comedy Club, l’Humour d’Origine Caennaise ? Ils n’ont certes pas un show sur Fun Radio. Pour autant, ils ont rivalisé ou mis KO de célèbres institutions : le Paname Art Café, Madame Sarfati, le Fridge…
2. Les plus expérimentés n’ont pas besoin de promotion… ou drainent leurs camarades
Quel est le point commun entre Pierre Thevenoux, Clément K ou encore Yacine Belhousse ? Ils n’ont pas communiqué sur les awards, et figurent pourtant à de belles positions. Je creuse un peu plus dans les coulisses de ces awards pour vous livrer l’analyse de leur parcours.
Pierre Thevenoux et Yacine Belhousse ont tous les deux reçus des votes réguliers pendant toute la durée des awards. Déjà reconnus par le public et la profession, ils n’avaient pas besoin d’en faire plus pour bien figurer.
Yacine a même récolté, à l’instar de Merwane Benlazar et de Pierre Metzger, de nombreux votes issus de fans des 7 blagues de cristal. Le cas de Clément K est assez similaire : c’est sa visibilité auprès des professionnels qui a payé. Grâce au partage d’un autre humoriste qui fréquente les mêmes circuits artistiques, il a retenu l’attention de ces observateurs à l’œil affûté.
De quel humoriste s’agissait-il ? Deux jours avant la clôture des awards, Matthieu Penchinat a transmis à son réseau le lien vers les votes. Parmi ce réseau figuraient des milliers de personnes, des professionnels, des artistes de toutes les familles comiques… C’est grâce au partage coordonné de nombreuses familles d’artistes que les votes ont gagné en homogénéité.
Parfois, certains demandent s’il y a trop d’humoristes. Les awards ont démontré que malgré un métier très solitaire, ces artistes sont plus forts quand ils collaborent, évoluent dans les mêmes cercles et sont dans le partage.
3. Les nommés sont parfois trop fair play
Autant certains artistes se sont battus pour gagner, autant d’autres se sont sabordés. Je m’explique : pour la beauté du jeu, ils ont voté pour quelqu’un d’autre qu’eux. Ils ont dit : « Non, mais en fait, même si je me bats toute l’année pour exister dans le milieu, je dois dire que cette personne mérite ce prix. » — ces fous !
J’en profite ici pour parler du système de pondération. Oui, on plonge encore plus loin dans les coulisses de ces awards ! J’ai en effet décidé de récompenser ceux qui faisaient l’effort de voter dans plusieurs catégories. Suivre la nouvelle génération humour n’est pas chose aisée. La promotion de ces propositions artistiques est assez confidentielle et souvent réservée à des initiés.
Si vous votiez deux fois, chaque vote rapportait 2 points à votre favori. Idem pour 3, 4 ou 5 votes. Ce système a permis une lutte bien plus serrée entre tous les artistes. Il dresse un portrait un peu plus fidèle que celui des votes bruts.
4. Pour exister, nul besoin d’être consensuel
Matthieu Penchinat, Blaise Bersinger, Yacine Belhousse… Voici le trio de tête du meilleur spectacle confirmé de l’année 2020 ! Admettez qu’on est loin du « je ne sais pas si vous avez remarqué… » ou « il y a des couples dans la salle ? » avec ces trois-là !
Du clown poétique, la victoire de l’absurde, des ninjas et autres gags sonores élaborés finement… C’est une preuve que le public cherche autre chose. Certains producteurs devraient y songer avant de chercher à trouver l’artiste qui rentre dans la case, le « stéréotype du moment ». Cette expression ne veut rien dire, si jamais.
5. Les hommes reçoivent les premiers prix à une exception, mais…
Les premiers jours des votes, les femmes humoristes étaient globalement en meilleure posture, mais elles ont fini par céder du terrain pour tomber « juste derrière » les premières positions. Même Fanny Ruwet, qui a reçu un nombre très conséquent de votes pour son podcast et son spectacle, a manqué d’un rien le podium dans cette dernière catégorie. Et niveau podcast, comment battre Kyan Khojandi et ses concepts toujours très populaires ?
Autre exemple : sans deux effets d’aubaine provenant de réseaux organisés (7 blagues de cristal, Harold Barbé…), Emma de Foucaud aurait terminé troisième de la catégorie « spectacle indépendant de l’année ». Idem avec la percée tardive de Clément K due à sa notoriété plus importante chez les professionnels. Comparer ces deux artistes est intéressant, car la reconnaissance de leur talent tarde. Alors que vous comme nous connaissons leur qualité. Donc, sans ces ultimes votes en faveur de Clément, Emma figurerait plus haut. Cependant, sachez que sa programmation récente à la Petite Loge commence déjà à attirer l’attention. Clément était d’ailleurs passé par cette salle avant de rejoindre le Théâtre du Marais…
Emma de Foucaud aura bientôt la chance de briller dans les meilleurs tremplins du pays. Et la suivante, ce sera Julie-Albertine. Elle a bien fait de figurer dans Soixante 2, les professionnels l’ont remarquée ! Les votes le prouvent, en tout cas… Vous le sentez, mon enthousiasme à partager les coulisses de ces awards ? Continuons : c’est loin d’être fini !
Autres éléments statistiques : dans les deux catégories de spectacles, il y avait 14 hommes contre 6 femmes nommés. Dans les spectacles confirmés, seulement 2 femmes sont dans le top 10 contre 4 pour la catégorie « spectacle indépendant ». Dans ces deux catégories, c’est à chaque fois un homme qui finit dernier… Or dans la catégorie découverte, 4 femmes sont dans les 6 premiers du classement.
Que peut-on en déduire ?
Pas grand-chose. Après tout, les sociologues en herbe tirent parfois des conclusions hâtives… Je vais donc m’abstenir ! Cependant, si jamais vous en doutiez encore, les hommes et les femmes humoristes partagent la même capacité à être drôles. Ils sont soit drôles, soit ils ne le sont pas ; et ce de manière non uniforme.
Vous êtes perdu ? Laissez-moi clarifier : certains sont drôles, d’autres non. Une femme humoriste n’est pas interchangeable avec une autre, idem pour les hommes. En revanche, il arrive que certains styles d’humour ou certaines thématiques reviennent. Et cela concerne à la fois les hommes et les femmes. Bref, niveau qualité, c’est kif-kif bourricot. Tout dépend surtout de l’angle choisi pour aborder une thématique, le charisme ou encore l’originalité, etc. Des éléments qui concernent tous les artistes, au final. Le talent est donc bien l’élément qu’on analyse au bout du compte — et c’est tant mieux ! Sur ce sujet, je vous suggère l’écoute de ce podcast. Édifiant.
Coulisses des awards : en résumé
Cette première édition des awards a permis de promouvoir des talents très variés. Certaines réactions me rendent vraiment heureuse, comme « je ne connais même pas le troisième » ! C’est pour ce genre de mise en lumière que je me démène, alors ça fait plaisir. Autant que de vous révéler les coulisses de ces awards qui ont rythmé ma fin d’année.
Maintenant, soyez gentils. La prochaine fois que vous ferez défiler vos réseaux sociaux pour lutter contre l’ennui, ayez une pensée pour moi. Arrêtez de perdre votre temps et allez découvrir tous les artistes que j’ai nommés… et les autres ! Ils sont nombreux, et ils ont tant de choses à raconter…