Humour en live streaming : pourquoi il fait débat

Juliette Follin 03/02/2021

Les théâtres demeurant fermés, l’humour en live streaming a le vent en poupe ! Verino et Kev Adams ont en effet proposé fin janvier deux soirées stand-up accessibles depuis chez soi, moyennant paiement. Mais cet humour par écrans interposés ne fait pas l’unanimité. On fait le point !

Humour en live streaming : comme en vrai, il y a de tout !

Commençons par un scénario de science-fiction : il me reste un seul spectacle à visionner, après c’est terminé. Et ce plateau, c’est celui organisé par Kev Adams avec son pote Gad Elmaleh (et d’autres noms). Si j’avais pu y assister sur place au Fridge, alors je me serais sans doute déplacée. En revanche, en live streaming, je passe mon chemin.

Pourquoi ? Parce que l’intérêt d’un plateau d’humour, c’est se laisser prendre au jeu. Sur place, on accepte plus les propositions artistiques qui nous parlent moins. Alors que derrière un écran, on éteint la machine, on coupe le son ou pire, on appuie sur avance rapide pour voir quelqu’un qui nous intéresse vraiment.

Une offre qui explose

Ces derniers mois, on a eu un florilège de soirées stand-up. Génération Paname, Autour de et le Ring Comédie Club (France TV), le Gala du Jamel Comedy Club (Canal+), la soirée Étoiles espoir humour du Parisien (Comédie+)… On a aussi eu le droit à des initiatives plus indépendantes : Pasquinade (Haroun), LeMardi.tv (association suisse romande) et plus récemment Verino, malgré ses réticences confiées à Télérama.

J’en oublie sûrement, et je vous avoue avoir passé mon chemin à quelques reprises. Le problème que je vois dans ces soirées où les extraits s’enchaînent, c’est qu’un passage ne résume pas l’univers d’un artiste. Un spectacle y parvient mieux ; d’ailleurs, on peut revenir plusieurs fois pour continuer à explorer. D’autre part, quand on est filmé, on fait attention à ne pas bider, donc on laisse moins de place au hasard. C’est une forme d’humour impeccable, hygiéniste et aseptisée qui n’a tout simplement plus la même âme. Il faut aller chercher dans de l’improvisation pour retrouver un semblant de frisson. Pour connaître quelqu’un, regardez-vous sa carte de visite ou allez-vous entrer en discussion avec lui ? Vous saisissez le problème, maintenant ?

La coupe au montage : pire qu’un coiffeur en état d’ivresse ?

Attention, sujet épineux ! Les coupures au montage sont davantage l’œuvre de chaînes de télévision. Plus il y a de chemins de validation, de craintes de perdre un contrat ou un boulot, plus l’humour risque de subir quelques coupes disgracieuses.

barney stinson vs. marshall's pants
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Il y a aussi un impératif de temps : chaque programme a une durée précise. Il faut être efficace ou périr. Pour autant, le tableau n’est pas si noir qu’il n’y paraît. Ce qui change la donne, c’est l’arrivée de Twitch dans le paysage audiovisuel et surtout sa prise en compte par les médias traditionnels. Ces mondes, semble-t-il structurés de manière diamétralement opposée, fusionnent actuellement… Pour le meilleur et pour le pire ? Il ne faudrait pas perdre la spontanéité des chaînes indépendantes sous prétexte que les pros découvrent de nouveaux terrains à explorer. Au passage, si le sujet vous intéresse, je vous conseille la chaîne de Ludovic B qui compare YouTube à la télévision.

La coupe au montage pour des raisons de censure peut toutefois être contreproductive. L’absence d’Edgar-Yves dans la captation de la soirée du Parisien a eu pour conséquence… Que l’AFP a prévenu toutes les rédactions et informé tout le monde du contenu du sketch en question ! On n’aura jamais autant entendu parler d’une blague « compromettante » (sic !). Si elle avait simplement été diffusée sur une chaîne que personne ne reçoit ou presque, Edgar-Yves n’aurait pas eu un tel coup de pub.

Cette affaire est intéressante car deux versions contradictoires cohabitent. D’une part, les pressions pour supprimer une partie du sketch et la coupe pure et simple d’un humoriste. D’autre part, la demande de l’humoriste que l’on coupe son passage car il ne serait pas efficace. Cela ne semble pas être le genre de la maison, mais admettons.

Pour avoir vu cette soirée, sachez que l’efficacité a surtout été compromise par l’absence significative de public ! En plein confinement, elle a en effet été maintenue avec un « public » restreint et créé artificiellement. En revanche, point d’ajouts de rires. Le silence est parfois assourdissant là où les artistes attendent traditionnellement des rires. En bref, on a perdu Edgar-Yves et on a conservé Jérémy Demay alors qu’il n’était même pas présent (juste une vidéo en mode selfie…). Dommage, même si des artistes comme Fanny Ruwet excellent lors de leurs captations.

Quelques pistes pour une meilleure expérience

Tout d’abord, adapter le format aux écrans. Si Génération Paname était la seule émission d’humour à la télévision, elle serait agréable à regarder dans son format actuel. Or aujourd’hui, un passage de stand-up simple ne suffit plus à accrocher un spectateur qui a tant de choix pour se divertir.

Ensuite, inclure des moments de découverte des artistes et de performances scéniques. Certains ont loué les mérites de l’émission Vendredi, tout est permis spéciale Fridge pour cela.

Dans la mesure du possible, laisser les artistes s’exprimer en toute liberté. Ne pas trop écouter la majorité bruyante de Twitter et son offense facile. Museler les cadres des chaînes de télévision qui pensent tout connaître des late shows américains, aussi. Cela vaut autant pour les contenus des sketches que pour leurs idées de formats.

En cas de problème technique, proposer une solution de repli. Par exemple, les personnes qui n’ont pas pu se connecter sur la plateforme LeMardi.tv lors du live avaient 48 heures pour regarder le spectacle en VOD. Pour ma part, je n’ai pas rencontré de problème et j’ai trouvé l’expérience très agréable : c’était le premier spectacle post-confinement ! Oui, la Suisse avait déconfiné plus tôt.

Enfin, alterner les artistes dans ces émissions. On voit les mêmes passages d’une chaîne à l’autre, parfois ! C’est ridiculement inutile sur le plan de la découverte… Si l’on multiplie les programmes, il faut aussi multiplier les tickets d’entrée.

Sacraliser le lien avec le spectateur

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Laura Calu est l’une des humoristes qui prend le plus position contre la tenue de spectacles en streaming. Pour elle, le spectacle doit être vivant, sinon il perd de son charme. Elle dénonce chaque jour les incohérences entre les ouvertures et fermetures de lieux publics (magasins vs. théâtres).

Voir un spectacle « en vrai » n’a en réalité rien à voir avec la consommation d’une soirée humour en prime-time à la télévision. Contrairement au sport où il est parfois plus simple de suivre une compétition sur son canapé que sur place, le rapport avec les artistes est sublimé au théâtre. C’est ce qui procure des émotions authentiques, un moment hors du temps où tout peut arriver. Le seul équivalent, et encore, c’est la diffusion en direct, sans filet.

Et dans le même temps, avec YouTube, les podcasts et les communautés, le lien existe bel et bien entre créateur et spectateur. Il est simplement différent. Les codes des YouTubeurs et autres streamers est très différent. Même s’ils proposent des contenus parfois de grande qualité, ils développent les mêmes tics de langage, les mêmes manières de monter leurs vidéos… Tout est formaté, facilement consommable et, il faut le reconnaître, fait passer le temps alors que nos libertés sont confinées.

Bref, cette question du lien est essentielle et doit nourrir les projets d’humour en live streaming. Surtout lorsque nos liens sociaux et familiaux sont mis à rude épreuve. Les artistes nous semblent aujourd’hui loin. Parfois, on les voit errer, perdus sans leur outil de travail : la scène. Ils écrivent dans le vide car il n’y a plus le receveur qui les porte : le spectateur.

Humour en live streaming : un complément alimentaire, pas de la véritable nourriture

Je ne vois que cette analogie : l’humour en streaming ne rassemble pas les mêmes qualités nutritionnelles pour l’âme que celui en salle. Mais pour ceux qui habitent loin des grandes villes, c’est une aubaine : d’habitude exclus, ils peuvent aujourd’hui prendre part à la fête. Découvrir de nouveaux artistes, même dans des conditions compliquées ou tronquées.

Il y a à la fois des avantages et des inconvénients. En ces temps de crise, cela peut passer quelques temps… Mais les justifications brouillonnes de la ministre de la culture pour justifier la fermeture des lieux culturels ont, à raison, suscité la colère de tout un secteur. Il aura fallu qu’elle explique que les artistes se contaminent parfois entre eux (coucou loges exiguës et autres plateaux d’humour peu regardants) pour que je me dise « oui, ça se tient ». Mais au pire, dites aux troupes de former des bulles Covid, comme pour les sportifs ou Miss France, et laissons les stand-uppers esseulés jouer devant 16 personnes à la Petite Loge (si vous voulez de leurs nouvelles, c’est par ici) !

Tout le reste me paraissait irrecevable, surtout avec l’existence de purificateurs d’air… Et la suite des événements semble étrange. Pendant un temps, on a eu cette hypothèse de devoir présenter un test Covid négatif pour accéder à un théâtre. Je me voyais mal faire des tests Covid tous les 4 jours, comme le personnel soignant, alors qu’il faut des masques pour accéder aux théâtres… C’est sûr qu’avec l’humour en live streaming, point de test PCR… Après coup, Roselyne a fait le même calcul et a finalement choisi de brandir le « principe de précaution » pour justifier la fermeture des salles de spectacles pour une durée indéterminée… Je n’ai plus de mots, et apparemment elle non plus.

Sur ce, je vous laisse, je vais écouter une émission de radio avec des comiques. Ça, ça continue à nourrir un peu l’âme, en attendant mieux !

Crédits photo

© QoQa / LeMardi.tv

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