Humoristes femmes invisibles : comment évoluer ?
Le week-end du 13 juin, le sujet des humoristes femmes invisibles a animé les discussions et les réseaux sociaux du monde artistique. Si par le passé, les plateaux d’humour 100% masculins étaient monnaie courante, aujourd’hui, ça passe beaucoup moins. Et quand on pousse le bouchon un peu trop loin, même quand on ne s’appelle pas Maurice, ça ne passe pas inaperçu !
Mise à jour 16 juin 2021 : suite à notre article, le Trempoint propose ce mercredi soir un plateau paritaire avec Lucie Carbone, Myriam Baroukh, Adrien Montowski, Camille Lavabre, Louis Chappey et Nordine Ganso ! Bravo à eux pour la réactivité !
Le meilleur onze du Trempoint vs. humoristes femmes invisibles
C’est donc une programmation presque banale, mais de moins en moins acceptée. Le 6 juin, le tremplin découvertes du Point Virgule, le Trempoint, arborait 9 noms d’humoristes. Tous des hommes. À l’époque, j’ai failli réagir, mais je me ravisais car ce n’était pas vraiment un lieu qui ignorait les femmes.
Certes, la programmation du Point Virgule 2021 est peu mixte, mais cette salle n’était pas la plus en vue sur ces questions. Sauf que la semaine suivante, le Trempoint récidive avec 11 humoristes, toujours des hommes. 8 des 9 hommes conviés le 6 juin revenaient, ce qui privait le public d’un roulement. Comment voulez-vous revenir chaque semaine au Trempoint, scène de découvertes humour, si vous découvrez toujours les mêmes ?
Les spectateurs peuvent encore accepter cela lorsque les 9 ou 11 personnes conviées sont complémentaires et vraiment solides. Sauf que dans les faits, la proposition artistique de certains n’apporte rien d’innovant. Tandis que d’autres, vraiment prometteurs, arrivent comme un cheveu sur la soupe pour sauver les meubles.
Humoristes femmes invisibles, score final 0-11 : il n’y a pas match
Tout cela a mis le feu aux poudres et a questionné la sélection des artistes sur cette scène historique. De nombreux humoristes, hommes et femmes, ont condamné cette programmation. Ce 11-0 encaissé par les femmes humoristes, invisibles car même pas conviées au match, ne passe plus en 2021. Caroline Vigneaux, Olivia Moore relayaient ainsi l’alerte lancée par une Emma de Foucaud qui aurait largement sa place pour un Trempoint. Et pourquoi pas le FUP ? Et pourquoi pas une programmation régulière au Point Virgule à moyen terme ?
Où est le temps où Solène Rossignol profitait de showcases au Point Virgule ? Il n’y a pas si longtemps, Tania Dutel foulait les planches de ce théâtre au côté de nombreuses autres. À l’heure actuelle, nous nous retrouvons avec des théâtres qui rééquilibrent la balance en proposant des programmations engagées. La Nouvelle Seine réussit à combiner qualité artistique et majorité de femmes.
La Comédie des 3 Bornes suit le mouvement en proposant une programmation volontariste. Elle se discute sur la qualité, mais cela concerne les hommes comme les femmes. Cela fait en effet longtemps que cette salle a perdu de sa superbe. Certains parlent même d’un gouffre financier pour les jeunes artistes. Alors autant miser sur une identité plus militante. Autant cibler un public plus enclin à découvrir plusieurs spectacles de la même trempe !
Comment sortir d’une telle impasse ?
On ignore ce qui a motivé de tels choix. La reprise des spectacles après une fermeture aussi longue doit poser des problèmes d’organisation et les programmateurs sont sans doute sous l’eau. Si rien n’excuse ce préjudice à la fois contre la qualité humoristique et l’intégration des femmes dans le milieu, il faut comprendre le problème pour l’adresser. Une situation comme celle-ci n’aurait fait l’objet d’aucune critique il y a quelques années. Les femmes s’organisent aujourd’hui pour prouver aux programmateurs qu’elles existent. S’ils ne les connaissent pas, elles font le travail de détection pour eux.
Chaque acteur de la comédie doit prendre sa part et faire de son mieux. Sortir de sa zone de confort, décrypter le phénomène de sororité pour faire le tri dans les talents. De quoi s’agit-il ? Mises de côté depuis tant d’années, certaines femmes humoristes estiment que la solidarité entre elles doit être inconditionnelle. Elles se soutiennent à 100% et répondent à la cooptation par la cooptation. Pour elles, il n’est pas acceptable de critiquer une femme humoriste sur des critères artistiques objectifs. Motif invoqué : pour pallier le manque de confiance en soi et la difficulté d’intégrer le milieu, elles font bloc, se construisent dans l’ombre et se protègent de toute agression extérieure. Une pratique radicale qui ne passe pas chez tout le monde. Or elle n’aurait jamais existé sans le rejet d’un secteur…
La riposte est en marche
Autrement dit, les hommes comme les femmes humoristes montent sur scène en sachant que pendant leurs débuts, ils devront se développer avant d’être au top. Ils disent : « nous sommes là, fais avec, un jour tu retourneras ta veste ». Pour de nombreuses raisons, cette pratique passe beaucoup mieux chez les hommes que chez les femmes. Il faut en avoir conscience pour regarder chaque humoriste en tant qu’individu et non comme membre d’une communauté. Tous les hommes humoristes ne se valent pas, comme toutes les femmes humoristes ne se valent pas.
La solution : diversifier les programmations, mélanger les talents en ne sacrifiant pas l’artistique sur l’autel de quotas. Ces quotas sont parfois nécessaires pendant un temps pour contrebalancer des discriminations. En revanche, ils ne doivent pas être une fin en soi.
Faisons l’effort de regarder les talents pour ce qu’ils proposent et non pour leur genre ou tout autre critère non pertinent. Soyons conscients de nos biais pour mieux progresser ensemble. Ne condamnons pas cette erreur du Trempoint, prouvons-leur que les talents sont multiples et divers.
Femmes humoristes invisibles : un dernier mot
Notre milieu artistique comporte des gens passionnés qui, parfois, commettent une erreur qui se voit plus ou moins. Antoinette Colin, directrice artistique du Point Virgule, se démène depuis des années pour dénicher les talents.
L’erreur est humaine et nous savons tous qu’elle a à cœur de proposer les meilleurs choix artistiques. Elle a sa patte, le milieu de l’humour la respecte parce qu’elle a tant donné pour lui. Je suis persuadée que cet incident sera le dernier de cet acabit. Dans le cas contraire, le Point Virgule pourrait en pâtir avec des programmations déconnectées de la réalité des plateaux d’humour…
Nous faisons tous des erreurs. Au spot du rire, nous pourrions mieux faire également. Nous œuvrons au maximum pour promouvoir les femmes sur des critères de talent. Nous voulons faire oublier leur genre pour aborder l’artistique. Or nous ne promouvons pas la diversité autant que souhaité. En effet, notre rapport au monde ne nous permet pas de nous identifier à toutes les propositions artistiques avec la même justesse.
Cet écueil, nous l’adressons le mieux possible en sachant qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir. Ce sera, pour tous les acteurs du rire, le combat de la décennie. Nous ferons le bilan en 2030 des défis à venir !
Nb. Vous trouvez qu’il y a beaucoup d’humoristes femmes sur notre image à la une ? Il en manque énormément. On en a sans doute oublié plein, et puis il n’y avait pas la place pour toutes les ajouter ! L’inverse de ce problème de programmation, en somme…