La Suisse et Couleur 3 : l’autre paradis de la pépite

Juliette Follin 18/04/2022

J’ai attendu de pied ferme ce nouveau séjour en Suisse, sur les terres de Couleur 3. Le Covid remontait déjà fort, je devenais deux fois de suite cas contact et me résignais à conserver le masque en intérieur. Mes collègues pouvaient me prendre pour une folle, je n’en avais cure.

L’objectif de rester négative atteint, je pouvais finalement partir et retrouver Lausanne. Je comprends toujours autant pourquoi Thomas Wiesel considère cet endroit comme le paradis sur terre. L’humour des improvisateurs, stand-uppers et chroniqueurs locaux mériterait bien une appellation d’origine contrôlée. Et même en plein centre-ville, non loin du Théâtre Boulimie, le silence est d’or.

Tristan Lucas, globe-trotteur, chroniqueur en Suisse sur Couleur 3 et humoriste français : comme un poisson dans le lac

Cette contrée, l’humoriste caennais Tristan Lucas part à sa conquête. Quand Yann Marguet embarquait pour Paris, les deux hommes troquaient leurs appartements respectifs pour mieux faire rire de nouveaux publics. Tristan a la lourde tâche de représenter la Frouzie (France) sans se noyer dans le lac Léman. Ses talents de chroniqueur se marient bien avec l’antenne de Couleur 3 : sur le fil du rasoir, barrée, émaillée de bonne humeur. Et son débit de parole rappelle au public local le taulier de l’humour Suisse, Nathanaël Rochat.

Tristan avait fort à faire à Boulimie. Il devait préparer et réussir un roast face à Thomas Wiesel, Yoann Provenzano et Vanessa Lépine. Le moins connu du coin a vite pris ses marques, en immersion dans les contenus produits par ses acolytes. Yoann Provenzano doit une partie de sa notoriété à Cash, une émission sur la RTS. La simple mention de cette information est déjà une blague en temps normal, car le budget est assez limité et la réalisation en plein air, artisanale. Alors Tristan s’est régalé, mais il a aussi misé sur de nombreux autres atouts. Le roast est définitivement une corde à son arc.

Mais revenons aux trois autres. Vanessa Lépine a rejoint la Suisse par amour, mais elle nous provient du Québec, autre terre reconnue pour ses compétences comiques. Thomas Wiesel, leader naturel de ce type d’exercice, jouait la carte du contrepied en roastant à l’envers. Comprenez : en encensant son adversaire ! Toutes les attaques, même les plus géniales, tombaient à plat tant le décalage était beau. Le roast durait à peine une heure, et pour une fois, j’avais envie d’un rappel. Alors bravo aux quatre protagonistes qui ont tous eu leurs moments de grâce.

Yann Marguet, le Ch’nit Comedy Club et la logistique

Autre élément amusant : Yann Marguet jouait la dernière de son spectacle Exister, définition en Suisse le 31 mars. Point de départ et premier jour de mon périple, cet événement s’avérait aussi avoir lieu quelques jours plus tard, à Paris ! Heureusement que j’avais autre chose de prévu. En effet, venir pour ce simple motif, alors que le spectacle était à portée de métro pour moi, n’était plus vraiment pertinent.

Mais au moins, le spectacle avait lieu. En effet, traditionnellement, le Ch’nit Comedy Club a lieu chaque premier mercredi du mois. Exception faite de ce 6 avril. Le Cazard est un lieu historiquement lié à l’AVLI (Association Vaudoise des Ligues d’Improvisation), qui se produit au même endroit, mais dans une configuration bien différente.

Hasard du calendrier, les dates se superposaient. Le Ch’nit a donc dû décaler sa soirée et changer sa programmation. Moi qui me réjouissais en priorité de voir Pierre Thevenoux à Lausanne, il ne pouvait pas non plus venir la semaine suivante. Ni lui, ni moi, ne connaîtrons cette soirée. Tout ce que je sais, c’est que le mois précédent, Avril remplaçait au pied levé un gros nom… et que Thomas Wiesel et lui se rencontraient artistiquement. Les deux stakhanovistes du test et des blagues sur les coutumes locales trouvaient immédiatement des atomes crochus. Symbole ultime du Ch’nit, finalement : c’est l’un des QG de l’humour français, belge et suisse !

Troisième incident de calendrier : le jour de mon arrivée, j’assistais aux Bras Cassés. Jusqu’ici tout va bien… Au programme : Tristan Lucas, Yannick Neveu et Yacine Nemra. Sauf qu’en réalité, Yacine jouait le soir même dans la ligue d’improvisation Brut et ne savait pas qu’il était prévu à l’antenne. Vingt minutes (!) avant l’émission, le téléphone de l’animatrice Valérie Paccaud sonne. C’est Yacine, qui annonce que non, il n’était pas prévu. Le coupable était donc le fichier Excel de programmation… Valérie, pressée par le temps, se contente de courir dans le métro. Le trajet dure dix minutes, mais l’émission débute dans un gros quart d’heure ! J’ai l’impression d’être dans Fort Boyard et tente de rester au contact. Tout se passe bien, même si mon visage devient rubicond.

Qu’à cela ne tienne : le réalisateur du jour Antonin Barre modifiait le conducteur de l’émission. Quitte à ajouter et remixer des morceaux et papiers d’archive pour respecter les deux heures réglementaires. Dans le studio, Yannick Neveu répondait présent. Ce fan invétéré de l’émission l’animait d’ailleurs l’an passé en alternance. Le duo de choc Yannick-Valérie et le chroniqueur de Rire et Chansons Tristan Lucas évoluaient en symbiose. Comme si de rien était, l’émission restait une réussite. Il y a bien eu des errances, comme ce morceau lancé à la place de la chronique de Tristan… mais c’était une énième occasion réussie de faire rire les auditeurs !

Parenthèse musicale : Albert Chinet et Valère Veya

Étrangement, j’ai passé plus de temps avec des mélomanes que des humoristes. Les protagonistes radio croisés lors de mon périple aimaient la musique avant le rire, qu’ils maîtrisaient tous deux à leur façon.

Albert Chinet a récemment intégré les Bras Cassés. Il m’accueillait dans son studio, non loin du lac Léman. Le jour de notre rencontre, il en était à huit chroniques à son actif. Habité par les sons émanant de son enceinte, il me parlait plus de rythme et de références musicales pointues.

Ce musicien à la voix radiophonique sait tout faire. Il me révélait en avant-première la sortie de son nouveau single. Il fait tout, du chant à la composition musicale. Et il se demandait alors comment il interpréterait cela en concert, où il aime faire autrement que livrer la version studio brute.

C’est presque par un concours de circonstances qu’il intègre l’émission de Valérie. Et pourtant, il se distingue rapidement car il préfère développer longuement les choses qu’enchaîner les vannes de manière industrielle. La méthode fonctionne puisque sans propos, on propose souvent de la soupe. L’exigence de l’émission fait que, de toute façon, la création de blague est obligatoire et intervient avant l’antenne. Jackpot pour Albert Chinet, qui joue de sa voix suave, de sa sensibilité palpable et d’une présence électrisante. Envoûtant.

À la rencontre des réalisateurs de Couleur 3

Retour à la régie. Les deux tauliers des Bras Cassés, ce sont Franck Pourprie et Valère Veya. Pour moi, ce sont des noms que j’entends chaque jour depuis une paire d’années. Inconsciemment, je réalise que ça crée du lien. Alors quand je vois Valère Veya descendre de l’escalier en colimaçon qui mène au studio, je me tiens en alerte.

On sent que c’est le genre de mec geek et passionné qui vit pour la déconne. Il a l’air de ne jamais faire la gueule, d’avoir conservé de l’innocence sur ses traits et que dans sa tête, ça file à mille à l’heure. Paré pour sa prochaine farce, il rôde dans son QG. Et même s’il ne réalise pas l’émission ce soir-là, il reste fidèle au poste. Avec Antonin Barre, ça se chamaille. Je ne sais pas comment ça se passe sur France Inter, mais si c’est comme ça, alors je demande à voir !

Je retrouve Valère à la réalisation d’une autre émission deux jours plus tard. Un autre musicien, Fantin Moreno, anime La 3ème mi-temps, l’émission sport de Couleur 3. Cette fois-ci, Yacine Nemra est là ! L’émission accueille les commentateurs de Formule 1 locaux. Je suis dans un plan à trois avec mes deux passions, tout se passe bien quand la famille des commentateurs arrive. Il me faut me contenter de la banquette. Délogée manu militari, je trouve refuge dans l’antre de Valère, qui s’amuse comme Batman pourrait le faire avec ses gadgets. Sa tour de contrôle a un bouton qui lui permet d’élever ou de baisser la hauteur de la table. Normalement, ce tour de magie n’émerveille que les enfants. Mais à cet instant, j’ai 10 ans, et je trouve qu’il n’y a rien de mieux au monde.

Devant son micro, Yacine était bien embêté. La présence d’enfants ne collait pas tout à fait à sa chronique humoristique. En réalité, c’était des ados, et parfois ils sont moins coincés que les trentenaires sur le cul. L’émission valait son pesant de cacahuètes, pour les férus de sport et bien plus encore. Yacine devait partir avant la fin, laissant le studio presque vide. Fantin, seul au micro, déclamait sa dernière anecdote, un site d’actus face à lui. J’étais toujours impressionnée. L’ambiance devenait intimiste, créant cette magie que seule la radio abrite encore…

J’ai quitté seule la radio, avant de digérer le tout. Ermite quelques jours avant la reprise des événements comiques, je finissais pas réagir. Après tout, je suis une passionnée de radio. Vous l’avez entendu si vous avez écouté l’épisode de Passions avec Isabelle Chataignier. Je parlais déjà de Couleur 3, mais aussi des sessions du petit matin où j’ai appris l’anglais sur BBC Radio 1 et Virgin Radio UK.

Il était donc de mon devoir de prendre contact avec Valère. Seul hic : contrairement à ses semblables, le mec ne s’étale pas sur les réseaux sociaux. Il est même tout bonnement introuvable. C’est là que le jeu de piste commence. Je sonde le terrain : la discrétion du bonhomme est palpable. Tous me disent qu’ils savent peu de choses sur lui. Mais j’obtiens un numéro de téléphone, je prie pour qu’il accepte une entrevue…

Elle se tiendra trois jours plus tard, loin des montagnes où il a élu domicile. Heureusement, il partage un pied à terre à Lausanne avec deux autres réalisateurs. Pratique pour gérer les horaires décalés, nombreux pour ces profils polyvalents de l’ombre. Nous nous retrouvons au Café des philosophes, le même endroit où Yacine Nemra et Blaise Bersinger se confiaient à moi l’été dernier. Pour en savoir plus, découvrez le meilleur de ces 45 minutes de conversation passionnée. Pour la faire courte, mon instinct avait vu juste : En six ans d’antenne, Valère Veya avait des choses à raconter. Et il se révélait passionnant, même s’il cherchait ses mots, parfois. La marque de fabrique des créateurs de l’ombre, sans doute.

Escale à Genève chez le Brad Pitt de l’humour suisse, dans l’auberge espagnole du rire

Entre le lundi et le jeudi, j’ai fait plus que préparer l’interview de Valère. Je devais me rendre à Genève pour voir le spectacle de Bruno Peki. Changement de programme, finalement : ce sera un 3×20 minutes avec Thibaud Agoston et Lord Betterave. Oui, c’est le nom d’un humoriste. Parti en tournée avec le Printemps du rire, si jamais.

J’arrive à la gare, Bruno accuse un léger retard dû à la circulation. Au volant de l’Alfa Romeo de la madre, le Brad Pitt de l’humour suisse (selon Marina Rollman) joue les pilotes. Je lui parle de Frédéric Vasseur, il n’a pas la ref (pourtant locale, mais liée à la Formule 1, encore et toujours). Il faut dire que la mère de Bruno Peki est une célébrité locale, puisque son sous-sol a accueilli moult comiques. Et moi aussi. Julien Santini et Julien Sonjon ont même failli périr, une sombre histoire de fer à repasser (à toujours débrancher, attention les amis…). Pour ma part, tout s’est bien passé !

Il s’isole ensuite pour bosser sur son texte, tandis que je me rapproche du Caustic Comedy Club. Dans la banlieue de Genève, cette salle de spectacle accueille des heures de stand-up comme des plateaux. Ce soir-là, c’est ambiance test avec les copains. Le meilleur environnement pour créer, se planter et exulter.

Thibaud Agoston semble sur la corde raide, estime bider (alors que pas du tout). Son passage est aussi sauvage que la fougue de Peki au volant, mais s’avère réussi. Vient ensuite Lord, qui alterne entre test et sûr, restant tout aussi solide sur ses appuis. Bruno clôture la soirée. Il semble pouvoir venir sur scène avec n’importe quel texte, sa présence rassurante fait le job et nous maintient en haleine. Pas mal pour un gosse de 22 ans, qui se rasera la barbe le lendemain pour le premier casting de sa vie. Nous nous quitterons le temps d’une fondue (bad call avant ledit casting), Bruno faisant de son mieux pour être accueillant malgré les impératifs professionnels nombreux !

Entretemps, tout de même, trois plateaux se tenaient à Genève le même soir. Un fait rare d’après Bruno, qui jouait finalement au Caustic et au ZinZou. Ce dernier est un bar à ping-pong qui accueille une soirée stand-up. Éclairée, elle accueille l’humoriste au centre, les tables formant un U, comme à l’école en cours de langues. On y retrouve notamment Cinzia Cattaneo, mais aussi Julien Sonjon.

Julien Sonjon est un mix entre Henry Fexa, William Pilet et Julien Santini. Il joue les magiciens, semble foirer les tours un à un avant de finir par faire des trucs avec des cartes et une clope. Comme quoi, il y a mille manières de faire de l’humour et de la magie.

Un dernier mot : merci la Suisse, Couleur 3 et les autres

Merci à toutes les personnes qui m’ont permis de vivre la semaine la plus immersive de mon parcours humoristique. Que ce soit chez elles, sur leur lieu de travail ou dans l’after du spectacle de Yann Marguet, c’était un moment unique où j’ai plus eu l’impression de me ressourcer que de travailler.

Mention spéciale à la dernière soirée avec Valérie Paccaud, où les archives de Couleur 3 resteront gravées dans ma mémoire. Je ne le dis jamais assez, mais ce n’est pas tant l’humour suisse qui est spécial. C’est plutôt cette génération portée en grande partie par des êtres atypiques et bourrés de talent, Valérie Paccaud d’un côté, les artistes produits par Jokers Comedy de l’autre.

Se sentir dans son élément avec des personnalités publiques est rare. Alors le vivre aussi longtemps, avec autant de personnes différentes… Ça m’a vraiment conforté dans ce lien spécial que j’entretiens avec la scène locale. La Suisse, Couleur 3 et al, merci pour tout !

Épilogue

Une semaine plus tard, Couleur 3 était à Paris ! J’ai eu l’honneur d’être invitée de la matinale de Fantin Moreno ! Une émission à réécouter ci-dessous.

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