10 minutes in le Barbès Comedy Club

Juliette Follin 16/05/2022

10 minutes in le Barbès Comedy Club, c’est l’histoire d’un mec qui répète sans cesse la même histoire. « Je suis nul, j’comprends rien. » Au fond d’une salle de classe, il tente de déchiffrer son environnement. Il n’y croit pas. Il a peut-être cru en lui un jour, mais depuis, on lui a bien fait comprendre ça : sa case, c’est d’être nul.

Pourtant, cette salle de classe sélective, il a réussi à l’intégrer. Comme tous les autres membres de son groupe, on l’a choisi pour sa personnalité. J’ignore les critères qui ont motivé cette décision, mais je les devine.

10 minutes in le Barbès Comedy Club : à la recherche des talents perdus

Comme vous le savez, je passe le plus clair de mon temps à scruter les talents. D’ordinaire, je les croise sur scène. Leur refuge, bien souvent, car les bureaux d’entreprise et autres lieux d’enseignement ne sont qu’oppression pour eux.

Alors quand je regarde ce mec du fond de la classe, je repasse en mode chasseuse de talents. Au milieu de tous ces gens qui jouent un rôle bien défini par la société et semblent exceller, c’est lui que je vois émerger. Pendant que les autres s’affairent à respecter les consignes et se préparent à être « juste assez bons pour éviter les ennuis », lui opère différemment.

Comique d’observation et sens du personnage

Depuis le début, sans coup férir, il scanne tout le monde. Il semble dans la lune, alors qu’en réalité, son cerveau surchauffe lors de cette phase d’observation. Les autres, il apprend à les incarner. Sans s’en rendre compte, il enregistre tout. Il questionne tout.

Et ça, de quoi s’agit-il ? Des compétences d’un bon humoriste. Là, je tombe sur un excellent cru : dans son regard perçant, je vois toutes les émotions passer. Il y a de la rage en lui, une détermination insoupçonnée, un potentiel survolé par ses semblables. Une envie folle de retourner. Retourner des tables de rage… ou bien retourner des salles avec conviction.

10 minutes in America… ne partons pas si loin !

Je vais vous faire une confidence : quand je me rappelle Gad Elmaleh dans 10 minutes in America, je partage la rage de mon camarade de classe. Une grande chaîne de télévision et une agence d’audiovisuelle prisée offrent un plateau d’argent à quelqu’un qui joue le pire rôle de réussite qui soit. Le pitch : comment repartir de zéro et écrire 10 minutes de blagues là où vous n’êtes « soi-disant » personne.

Sauf que ça, c’était avant les révélations de CopyComic. La plupart des gens, moi y compris, ont tout gobé. Regardé avec admiration un homme qui avait tout jouer celui qui n’avait rien.

10 minutes in le Barbès Comedy Club : l’art de préférer les diamants bruts

J’ai en face de moi quelqu’un qui a l’avenir devant lui mais qui se persuade du contraire. Avec lui, j’ai envie de lancer un autre documentaire, bien moins romancé mais bien plus sincère. Ça s’appellerait 10 minutes in le Barbès Comedy Club.

L’idée : ouvrir les yeux à ce talent qui s’ignore. Lui (dé)montrer sa façon unique d’incarner des personnages. Le convaincre que sa force créative lui ouvrira les plus belles portes. Seulement voilà, il faut remplir le premier contrat : croire en soi. Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais nous y sommes tous confrontés. Même Gad, qui a fait comme bien d’autres : ponctionné le talent des autres pour briller sans partage.

L’absence de feu sacré vs. la sincérité comique

C’est pour ça que j’enrage. Oui, je me répète, parce qu’il faut bien comprendre cet aspect. Tout le monde ne peut pas réussir dans le sens social du terme. Ceux à qui on a fait comprendre qu’ils étaient nuls le resteront peut-être malgré tous leurs efforts. Mais il existe une autre voie : emmerder ceux qui pensent comprendre plus vite que les autres. Ceux qui vous disent que vous êtes nul, car en réalité, votre force comique, émotionnelle ou intellectuelle les effraie. Elle leur rappelle qu’ils auront toujours un plafond de verre méconnu : l’absence de feu sacré.

Prendre le micro, c’est un acte fort. C’est aussi s’offrir le plus beau des cadeaux : que toutes les imperfections qu’on voit en soi deviennent des armes humoristiques massives. Ce n’est pas pour rien que les artistes raffolent de l’autodérision. À ce petit jeu-là, encore faut-il se distinguer de la masse de ceux qui jouent les névrosés par pur calcul.

Mon talent du fond de la classe, lui, a la sincérité de son côté. La pureté de ses interrogations et de son sens de l’observation le fait sortir des sentiers battus. C’est l’outsider par excellence. Ma mission est donc de lui montrer la voie : le faire passer de l’école de Marcadet-Poissonniers à celle de Château Rouge. Le Barbès Comedy Club, les micros ouverts de Shirley Souagnon… et si c’était ça, son salut ? Ou bien le vôtre ? Qui sait…

D’où sort ce texte ?

Quand je me suis égarée à la Rocket School, j’ai rencontré un type un peu spécial, un peu différent. Paraît qu’il avait fait de la taule. Peu importe, il était là, avec tous les autres sélectionnés pour un nouveau départ. L’école se situait dans le même quartier que le Barbès Comedy Club. Alors j’ai pondu ce texte, et j’ai attendu assez longtemps pour assumer son côté « fiction ».

Cet incident de parcours personnel m’a tout de même mené à quitter l’école pour rejoindre le Barbès, perdue, sans savoir sur qui j’allais tomber. Il y avait deux mecs, fraîchement colocs, Yassir et Tom Baldetti. Un an plus tard, les deux jouaient à la Petite Loge. Je n’étais plus perdue… Pour ce gars, je ne sais pas ce qu’il en est. Peut-être qu’un jour, il s’inscrira à une scène ouverte ? Qui sait…

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