Fary, Nordine Ganso : au-delĂ  du style, que vaut leur stand-up ?

Juliette Follin 15/05/2023

Fary et Nordine Ganso sont deux stand-uppers plutĂŽt connus. Le premier est un mastodonte, le second partage quelques similitudes
 mĂȘme s’il se distingue notamment sur le propos. Deux gĂ©nĂ©rations diffĂ©rentes d’artistes qui soignent notamment le paraĂźtre. Aujourd’hui, on voulait s’intĂ©resser au fond de leur stand-up. Cela tombe bien : fin mars, on les a vus jouer la mĂȘme semaine
 L’occasion idĂ©ale pour dĂ©couvrir ce qui se cache derriĂšre leur style !

Fary, le stand-upper de tous les records

Hasard de la vie, Ă  chaque fois que je vois Fary en spectacle, je reçois une place en cadeau. Je ne cours pas aprĂšs l’expĂ©rience, puisque Fary a dĂ©jĂ  percĂ© depuis bien longtemps
 puis, ce n’est pas trop ma came. Or tout commençait plutĂŽt bien, avec le passage du legging et les prestations chez ONDAR.

Au moment oĂč je commençais Ă  aller en salle, il investissait dĂ©jĂ  de grands thĂ©Ăątres. J’ai dĂ» le voir en 2016 aprĂšs un pot de dĂ©part, trouvant que ça parlait un peu trop de religion. Un peu ennuyĂ©e par le thĂšme et le non-renouvellement, j’apprĂ©ciais cependant ses courts passages en comedy club. J’ai le souvenir d’un jour au BarbĂšs Comedy Club, oĂč ses interactions Ă©taient de qualitĂ©. Un peu comme Matthieu MadĂ©nian au Paname : son cĂŽtĂ© « je rentre dans le public pour le retourner » impose le respect.

Amour, fidélité et stéréotypes de genre

Retour en 2022-2023. Le dernier spectacle de Fary suscite un Ă©norme engouement. Refroidie par la longueur de son Netflix, dont une partie est Ă  demi en noir et blanc, Ă  demi colorĂ©e, je ne cherchais pas Ă  redonner une chance. On a tout de mĂȘme essayĂ© de me convaincre sur un sujet : les relations hommes-femmes.

Chouette, encore un lieu commun qui me permettrait de vĂ©rifier s’il tombe Ă  nouveau dans les clichĂ©s. J’étais donc Ă  sa derniĂšre au ThĂ©Ăątre de la Renaissance. Dans l’expectative, je laissais filer les interactions, parfois agressives (mais mĂ©ritĂ©es puisque le public Ă©tait dissipĂ©). AprĂšs une ouverture sur les fous de Strasbourg-Saint-Denis (Paris), de nombreuses interactions puis des blagues sur le communautarisme, c’était le tour des relations.

La forme ne camoufle pas la faiblesse du fond

Ma gĂȘne Ă©tait malheureusement palpable. Fary a beau avoir du charisme, une aura scĂ©nique et un rythme de scĂšne bien Ă  lui
 le fond de son stand-up m’a déçue. Au mieux, c’est une occasion manquĂ©e. Au pire, les gĂ©nĂ©ralitĂ©s assĂ©nĂ©es fleurent bon la misogynie. Les femmes seraient donc chiantes, boudent inlassablement


Dans ce spectacle de stand-up, elles sont rĂ©duites Ă  une vision archaĂŻque de la fĂ©minitĂ©. Aussi, elles doivent se cantonner Ă  ce rĂŽle et accepter l’infidĂ©litĂ© et les excĂšs de Fary (par extension des hommes). LĂ  oĂč certains pensent qu’il est authentique en parlant de ses failles, je ne vois qu’un homme rejeter la faute sur un autre genre qu’il ne semble pas dĂ©crypter. Ces portraits dĂ©faitistes et caricaturaux renforcent ainsi les stĂ©rĂ©otypes de genre. Aussi, ils font perdurer une certaine idĂ©e de l’hĂ©gĂ©monie masculine et de la passivitĂ© fĂ©minine.

Toutefois, la salle semble trĂšs satisfaite. Le public revient de spectacle en spectacle. Fary ose tout, loue les plus grandes salles jusqu’à s’offrir Roland Garros. Il s’en tape, il est au sommet du truc. La presse, mĂȘme TĂ©lĂ©rama, exulte. Visiblement, les quelques cartouches autour du « conditionnement » suffisent Ă  les endormir. Car Fary met tout cela sur le dos du conditionnement, qui condamne hommes comme femmes Ă  s’enfermer dans les schĂ©mas Ă©ducatifs. C’est justement le renforcement des stĂ©rĂ©otypes dans les Ɠuvres artistiques qui accroĂźt ce conditionnement
 Le paradoxe est palpable.

Nordine Ganso, l’énigme du LOL

« Faut-il aller voir le spectacle de Nordine Ganso ? » Cela fait de nombreux mois que je m’interroge. Le Bordelais soigne son look et son jeu comme personne. Il vient mĂȘme de lancer une collection de lunettes de soleil, c’est dire. Sur le fond, je reste sur ma faim, mĂȘme si les vidĂ©os sur internet et l’expĂ©rience au thĂ©Ăątre n’ont parfois rien Ă  voir.

Justement, j’ai pu le voir jouer 3 fois en 3 jours. Il Ă©tait d’abord MC aux tremplins des Fous rires de Bordeaux, puis premiĂšre partie de Fary au ThĂ©Ăątre de la Renaissance. En jugeant ces expĂ©riences, j’ai l’impression que Nordine optimise son niveau de stand-up au maximum. Il reste du fond, mĂȘme s’il est diluĂ© dans du mainstream. En outre, il a trouvĂ© son (large) public. Un public qui l’adule tel une pop-star.

Stand-upper ou pop-star ?

C’est fou de voir cet ancien galĂ©rien des bus Bordeaux-Paris admirĂ© de la sorte. Et pourtant, le train de la hype est bien rĂ©el. Son nom, sa couleur scĂ©nique — violet — font vendre comme des petits pains. Avec simplicitĂ© et complicitĂ©, il crĂ©e du lien, voire un sentiment d’identification que l’on mesure via les rires de la salle.

Ainsi, formulons deux hypothĂšses. Soit on est devenu boomer
 Soit on passe Ă  cĂŽtĂ© d’un artiste qui serait phĂ©nomĂ©nal avec une Ă©criture plus subtile. Mais cette subtilitĂ© accrue est-elle nĂ©cessaire ? Il faut de tout pour faire un monde de comiques
 En bref, je ne sais pas oĂč se cache la vĂ©ritĂ©. S’il le faut, j’assume de passer Ă  cĂŽtĂ© de Nordine. N’en dĂ©plaise Ă  ses dĂ©tracteurs, le Bordelais est un artiste accompli, sur lequel il faudra compter de longues annĂ©es encore


Par ailleurs, nombreux sont les artistes qui dĂ©veloppent une forte prĂ©sence marketing. Citons en vrac KĂ©mil ou encore Alfred H. Difficile de dĂ©celer leur qualitĂ© Ă  travers les rĂ©seaux. Ainsi, l’effet se retourne parfois contre eux puisque je n’ai jamais pris le temps de bien les dĂ©couvrir. Et pour d’autres comme Hugo PĂȘcheur, le voir survendu par l’amie Marion Monin a retardĂ© sa dĂ©couverte Ă  mes yeux. Merci Ă  GĂ©nĂ©ration Paname de m’avoir permis de rĂ©aliser mon erreur : il est super !

Au-delà du style, Nordine Ganso se livre dans un autre rapport à la masculinité

Mais pour l’heure, revenons au stand-up de Nordine. Bonne nouvelle : on ne dĂ©cĂšle pas vraiment de misogynie dans ses propos. Une question de gĂ©nĂ©ration ? Par ailleurs, le parallĂšle autour du style des deux artistes ne me sautait pas aux yeux avant de le voir en premiĂšre partie de Fary.

Le style et la posture d’influenceur masquent-ils d’éventuelles faiblesses artistiques ? Je n’en suis pas convaincue. En plus, aurait-il intĂ©rĂȘt Ă  produire quelque chose de plus recherchĂ©, alors que le succĂšs lui tend aujourd’hui les bras ? En prime, il ne faut pas ĂȘtre fermĂ© aux artistes qui soignent davantage leur style que d’autres. Cela paie niveau marketing, et quand cela a du sens, c’est une aubaine. En prime, dans les bouquins de stand-up comme Off the mic, la prise en compte de l’apparence sur scĂšne fait partie de la check-list d’un pro du rire.

Mon absence de certitudes me pousserait peut-ĂȘtre Ă  venir au MĂ©tropole. En prime, Thierno Thioune le met en scĂšne — un gage de qualitĂ©. Et s’il Ă©tait bientĂŽt temps de rĂ©soudre l’énigme du LOL qui plane autour de Nordine Ganso, du moins dans ma tĂȘte ? Affaire Ă  suivre


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