Zoom sur la scène stand-up belge : décembre 2023

Juliette Follin 18/12/2023

La semaine dernière, on vous a présenté la soirée d’ouverture du gala Turbulences belges. Un événement organisé en grande pompe par les frères Taloche, chapeauté par le gouvernement local pour valoriser l’humour belge à Paris. On a vite compris que cette soirée était un peu l’arbre qui cachait la forêt. De quoi se compose la scène stand-up belge ? On a vérifié sur place !

La scène stand-up belge dans la vraie vie : une semaine à Bruxelles

On aurait pu s’en douter en constatant le manque criant de parité dans le line-up. Ajoutez à cela des prestations inégales et certains professionnels confessant avoir déjà vu tout le monde, la coupe était pleine. De l’argent public intelligemment dépensé ; ça nous semblait trop beau, de toute façon.

Notre contre-programme à Turbulences belges était lui-même un contre-programme. Dena assurait de nombreuses scènes au festival Hahalles. Quatre jours de stand-up de qualité avec en fil conducteur la diversité. Pour l’occasion, Tahnee, Lou Trotignon et Mahaut étaient sur place.

On a malheureusement loupé cette fête, et pourtant, on semble détecter plus de talents qu’une initiative comme Turbulences belges en quelques jours. Même en allant voir des hommes humoristes comme PE ou Inno JP, on a vu une ribambelle de premières parties de grand talent. De la variété dans les styles d’humour, un plateau bienveillant nommé le Gentil comedy club dans un club de jazz

L’échantillon de stand-up bruxellois était plus que cool, moderne, aux antipodes de ce qu’on a vu chez certains à Paris. Du côté des têtes familières, Dena a pu roder quelques nouvelles blagues. Ouf, on l’a vue en coup de vent ! Lorenzo Mancini était toujours là après une virée suisse fructueuse. Quand on entend son débit de parole sur Rire et chansons, on ne peut que comprendre pourquoi… Aussi, mention spéciale à la soirée surprise où j’ai pu voir le rodage d’une Fanny Ruwet toujours aussi talentueuse.

Pierre-Emmanuel alias PE rode son nouveau spectacle au Kings (mardi)

Revenons au point de départ : le rodage du nouveau spectacle de PE au Kings. Pour vous situer le personnage : humoriste aguerri porté par une communauté de fidèles heureux de communier avec lui. Pierre-Emmanuel alias PE, on l’a découvert il y a longtemps. Christelle Girard, qui était pendant un long moment notre source sur les humoristes de qualité en Belgique, m’a dit d’insister après quelques passages vus à Paris.

Elle a eu raison : PE est tour à tour efficace et émouvant. Son spectacle naissant parle à la fois de la notoriété et de la paternité… avec une nuance de taille : c’est pas chiant. Quand on parle de la vie, ceux qui suivent un chemin tracé de se caser et se reproduire vont faire ce spectacle de la maturité, propulsés en grande pompe par leurs succès passés. Le risque de perdre de sa superbe est réel, mais on n’a rien vu de tel. Les running gags montent en puissance au fil de l’heure, ponctués par certains moments assez poignants.

De la finesse dans une efficacité stand-up pleine de générosité, cela donne un tableau contrasté pour le meilleur. Je suis curieuse de voir la progression de cette heure à l’état encore embryonnaire. Car question qualité, tout est déjà là, mais on devine que ça va encore se muscler. Il faudra observer cette progression de près ! Clou du spectacle : je n’ai jamais vu d’artiste aussi informé sur ce qui l’entoure, à la fois ses pairs, les professionnels. C’est juste impressionnant et tellement appréciable vis-à-vis de l’ego de l’humoriste moyen.

Fanny Ruwet and friends : la richesse d’une scène stand-up émergente (mercredi)

Le lendemain, on a eu la joie de découvrir plusieurs parties aux côtés de Fanny Ruwet. Il y avait Clémence alias @cremos_chipitos sur Instagram. Beaucoup de pseudos pour retrouver ces nouveaux artistes, soit dit en passant. Voilà qui donne un côté forum des années 90 underground à la scène bruxelloise du plus bel effet. Probablement la plus impressionnante, ou du moins celle que j’ai le plus apprécié.

Au fil de la semaine, on retrouvait plusieurs artistes qui osaient les pas de côté. Alice Conard et Alba (qu’on a vu trois fois de suite) savent déjà manier la singularité, l’expérience fera le reste. Citons aussi Adel alias @fric_adel (toujours ces pseudos hilarants), qu’on a besoin de revoir pour se faire une idée précise. Il semble avoir une excellente cote chez ses pairs. Le voir devant 10 personnes alors que le public du concert de jazz commençait à gagner la salle, ce n’est pas le plus représentatif.

Gaëtan Delferière aux abonnés absents, la der d’Inno JP pendant un certain temps ? (jeudi)

Passons au changement de programme impromptu le jeudi. Je m’attendais à voir Gaëtan Delferière, mais c’était un Inno JP (en retard) qui m’attendait. Le lendemain, Inno annonçait une pause pour remettre certaines choses d’équerre. Toujours très bon sur scène, il n’arrive pas encore à s’extirper des retards et de son besoin ultime qu’on lui balise un cadre strict. Dans le positif, il est probablement l’humoriste le plus drôle sur la question Israël-Palestine.

Je n’ai même pas pu échanger quelques mots, ce dernier commandant un VTC pour courir vers une autre scène pendant son spectacle. Il proposait à Alba (toujours elle), de venir sur scène au bout de 40 minutes. Des conditions royales, qui ajoutaient au foutraque de l’expérience globale. Mention spéciale à l’histoire des probiotiques. Un peu de contexte s’impose. Inno demandait à une membre du public de la génération Z si elle avait des rituels pour prendre soin de son corps. Celle-ci l’informe qu’elle prend des probiotiques.

Grosso modo, des compléments alimentaires pour améliorer le transit, remettre des bonnes bactéries et assainir le microbiote. Sauf qu’Inno JP n’en sait rien. Il demande donc des précisions. Le public, connaissant globalement la définition, ressent le malaise et se retrouve en empathie avec la fille. Il n’a rien lâché, jusqu’à ce qu’elle confesse ces histoires d’intestins. Je pense qu’il n’a aucune idée encore aujourd’hui de ce que sont les probiotiques, ce qui rend l’anecdote encore plus drôle. C’est bien simple : le Petit Kings, c’est l’âme de la Petite Loge en un peu plus grand, et en mode comedy club. Une salle de rodage avec des émergents et confirmés qui va muscler une scène stand-up à la vitalité croissante.

Ghislain Blique retourne le Kings aussi bien que son carnet (samedi)

La scène stand-up belge fait toujours brillamment le pont avec les artistes francophones, comme en témoigne la soirée du samedi. Un plaisir coupable : aller voir Ghislain Blique hors de Paris. Depuis le temps qu’on le voit roder son stand-up… Le voir cueillir le public belge en quelques secondes est donc jouissif.

Ghislain n’avait pas de première partie. J’ai donc joué les intermédiaires avec un peu de pression et beaucoup de plaisir. Jusqu’à trouver une forme de sosie d’Antek (ayez un peu d’imagination, ça marchera). Régis Canon, vous le connaissez si vous êtes auditeur de podcasts. Humeurs humoristiques est l’un des meilleurs podcasts d’interviews de la francophonie. J’aime bien Régis parce que c’est un comedy nerd. Je trouvais que l’association des deux avait tellement de sens. Le hasard a voulu qu’il soit le seul disponible.

Il aurait voulu faire une meilleure première partie, mais in fine ça s’est plutôt bien passé. Peut-être un passage trop long pour l’occasion ? Difficile de juger sur une seule prestation. D’autant plus que les profils comme lui prennent du temps à exploser. C’est un peu comme Louis Dubourg ou Merwane Benlazar. Une passion pour le stand-up, des efforts certains jusqu’à trouver le déclic et se faire un nom. Pas d’inquiétude.

Ghislain Blique a retourné la salle. Je m’attendais à passer un excellent moment, assurément. Mais voir un public le découvrir dans sa quasi majorité, c’était jouissif. J’avais l’impression de le rencontrer à nouveau, par procuration. Une sensation assez unique en son genre que je conseille à tous ! Oui, c’est clairement utile de suivre la progression des spectacles qu’on a aimés encore et encore. Bonus caché : la saveur des nouvelles blagues disséminées ici et là. Suivre un artiste au long cours, j’aime juste trop ça. On voit les nuances, comme quand on a un auteur préféré en littérature.

Stand-up émergent, podcasts, médias… de nombreux canaux pour découvrir la scène stand-up belge

À l’heure où j’écris ces lignes, il me reste un seul élément au programme : l’enregistrement de deux podcasts en live. Celui de Régis avec PE, puis l’Agence du pitch, un podcast ciné qui ressemble un peu au Jamais sorti en salles dans les Bras cassés. Le pitch du podcast : deux équipes de cinéphiles improvisent des films qui n’existent pas (encore).

Fun fact : en tant que non cinéphile absolue épuisée de sa journée, j’ai décidé lâchement de faire l’impasse sur le podcast en live. J’en parle néanmoins pour les gens comme l’équipe du Carnotzet, et ses récents épisodes Movie Monday, apprécieront la découverte. Ainsi s’achevait cette semaine très variée, enrichissante et appelant à un prochain round.

Épilogue : Kostia et Lorenzo Mancini en clôture du festival Turbulences belges

Quelques jours après mon retour, le périple belge se poursuivait. Comme vous le savez, il se produisait en parallèle du festival à Paris. À la dernière minute, j’ai débarqué au comedy club The Joke pour voir le 30-30 de Kostia et Lorenzo Mancini.

Ma première bonne surprise, c’était la découverte de Bénin. Un humoriste qui se nomme comme un pays… D’ailleurs, son pseudo Instagram, c’est @commelepays_. Toujours ce truc de blagues sur internet, c’est une vraie tendance ! Un stand-up super drôle, malin et qui aurait clairement eu sa place dans le gala. Rassurons-nous : Bénin Imfura a bien fait voyager de Kigali à Montréal en passant par Paris, d’après le pitch de son spectacle, cet automne au Petit Kings. On aurait aimé y être, parce que ça promet.

Kostia a ensuite pris place dans ce comedy club. De son propre aveu, il ne fait pas de stand-up. Sa prestation au gala m’a guère convaincue… Or ce plus long format m’emportait plus facilement. Un univers posé, certaines anecdotes hilarantes : le tout mérite d’être approfondi… Comme quoi, ne jamais se fier à une première impression dans le cadre d’un festival !

Lorenzo Mancini clôturait la soirée avec quelques passages remaniés. Sa présence scénique, très différente de celle de Kostia, offrait une complémentarité bienvenue au public. La force de ce show, même écourté de 30 minutes, réside dans un combo texte et jeu semblant minimaliste et emportant pourtant tout sur son passage. J’ai encore pu me délecter du tout et clore ce nouveau chapitre belge sur une note positive. Si vous cherchez un spectacle qui s’appelle Origami sur la toile, préférez l’original à la copie… Ça vendra peut-être moins de ticket (pour le moment), mais vous allez bien plus kiffer… Parce que l’authenticité, elle est chez Mancini.

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