Notre reportage en Suisse, terre de victoires humoristiques
Début mai, alors que la Suisse s’apprêtait à gagner l’Eurovision, j’ai passé quelques jours à prendre la température du stand-up à Lausanne. Je pourrais critiquer très sérieusement chaque événement, mais ce n’est pas comme ça que j’ai vécu la semaine. J’aimerais plutôt vous raconter mon expérience entre tourisme et humour. En effet, aller voir du stand-up à l’étranger, c’est un ensemble de vie plutôt qu’un enchaînement de soirées.
Pour rappel, ce voyage improvisé faisait suite à ma déconvenue d’avril. Je devais aller voir Adrien Laplana à Genève et le Kremlin Comedy Club à Monthey. L’annulation de la première soirée et l’enfermement de mon hôte dans son propre logement en décidaient autrement. Drôle de vie… Ça n’arrange pas l’image que j’ai de Genève, en tant que semi-Lausannoise d’adoption qui a vibré devant le LHC (enfin, jusqu’à l’acte VI) !
Une semaine humour en Suisse : le Ch’nit Comedy Club, Comedy Club 13 et Couleur 3 en préambule d’un Eurovision 2024 historique pour la Suisse
Il me restait donc un crédit de voyage et ma valise à défaire le jour J… Ce n’était que partie remise, et ça tombait bien ! En effet, le Ch’nit Comedy Club proposait une sacrée soirée le 8 mai. Jour férié oblige, il fallait faire preuve de ruse pour ne pas claquer son épargne dans un billet de train hors de prix… Je décidais ainsi de passer cinq jours à Lausanne, profitant du festival Open Air organisé par le Caustic Comedy Club et d’événements au Comedy Club 13. Le Caustic étant un lieu genevois, ça équilibrait les choses…
Comme à Genève, j’ai finalement dû revoir mon programme. Un peu moins, heureusement ! Ainsi, Neal Maxwell a préféré jouer en première partie de Paul Mirabel près de Chambéry. On le comprend. Conséquence : pas de 30-30 jeudi soir — je troquais la soirée contre un visionnage cosy de la chanson victorieuse de Nemo à l’Eurovision. Un fait qui ne passait pas inaperçu, puisque la SSR (empire de service public audiovisuel suisse qui abrite notamment la radio Couleur 3), devra assumer l’organisation d’un concours hors de prix en mai 2025 (au détriment de Couleur 3 ?).
Je croyais vraiment que la Suisse allait trébucher, essayant de rassurer les membres émérites de la station. Après tout, la France a tellement mené au classement des bookmakers avant de s’effondrer qu’un décrochage la semaine du concours voulait dire beaucoup. Or comme souvent dans les compétitions inter-nations, chaque protagoniste a sa carte à jouer… Les Pays-Bas ont pété un câble, le cas d’Israël est devenu géopolitique… Tandis que l’Italie a joué les Edward Snowden en balançant une info confidentielle. Un effet papillon rocambolesque qui a bénéficié à l’art, à la neutralité et à la paix.
La Suisse et la France sont-ils si différents dans leur approche de l’humour ?
C’est tout un symbole quand on connaît l’ambiance de la Suisse. Vous savez, cet endroit qui semble rester paisible quand tout s’effondre autour. Ne vous y méprenez pas : la façade a beau être impeccable, en coulisses, les craquements sont perceptibles. Ce n’est pas comme en France où le drama a le cuir solide. Couleur 3 tient à bout de bras, contre vents et marées, dans un contexte bien plus difficile sur le plan budgétaire. Ces gens sont des McGyver en puissance et en acte (qui travaillent les jours fériés dans des locaux déserts aux couloirs plongés dans l’obscurité). Ils se réinventent loin des feux des projecteurs, s’améliorent d’année en année malgré la fatigue qui grignote les corps et les esprits. Chaque jour d’antenne est un miracle. Quelque part, est-ce aussi parce qu’ils se savent menacés qu’ils donnent tout ?
France Inter connaît une crise bien plus médiatisée avec la grève qui se jouait dans le même laps de temps. L’éviction de Guillaume Meurice fait grandement parler, provoque un branle-bas de combat, une démission et un désaveu de la direction de la radio… Si ça tourne mal, au pire, sacrifions ce qui fleurait la suffisance chez Inter ! Offrons dans le même temps la bande FM française à Couleur 3. Malheureusement, contrairement à la direction d’Inter ou le gouvernement français, je ne décide en rien du destin des uns et des autres.
Quelques enseignements entre l’idéalisme de la contrée qu’on visite et l’humour vécu sur place
Là où j’ai un peu plus de pouvoir, c’est dans ce réseau suisse. Je trouve ça complètement fou, cette différence de traitement des médias français vs. les suisses à mon égard. Bien sûr, je suis plus ouverte à construire mon réseau côté Suisses, mais ce n’est pas par intérêt. C’est dans ma nature de me sentir mieux avec eux… Les coups bas doivent exister, mais l’ampleur du phénomène n’a rien à voir avec Paris ! Et ça paie : samedi, juste avant la fameuse soirée de l’Eurovision, j’ai pu m’exprimer sur les humoristes suisses qui montent à Paris. Une discussion qui m’a beaucoup fait réfléchir. Tout le monde était très content de ma prise de parole un peu carte postale.
Cependant, j’aimerais préciser deux points puisque j’ai plus de temps à l’écrit qu’en radio. Un : malgré le professionnalisme global de l’humour en Suisse, il existe des disparités fortes entre la qualité des soirées humoristiques. Deux : les humoristes parisiens ne sont pas tous des amateurs qui profitent des comedy clubs comme salles de sport pour prendre le temps de devenir bons, et nous offrir des soirées médiocres. Loin de là, mais ceux qui le font, on les voit bien (trop, quand on nous les impose sans notre consentement).
Le stand-up en anglais : 12 points pour Paris
Sur cette question de la qualité, j’ai essuyé une déception dès mon arrivée le mardi. Le stand-up en anglais est bien meilleur à Paris qu’à Lausanne au Comedy Club 13, lorsqu’on sait où aller. Dans la cave non loin de la cathédrale, c’était correct, mais sans plus. J’attendais plus d’un artiste passé plusieurs fois par le Fringe à Édimbourg. Il n’a fait que 20 minutes, accompagné d’un MC à la chauffe plus longue que le show et un anglophone basé à Zurich. L’ambiance dans le public était toutefois très appréciable, le public international aimant s’amuser et participer.
Le coût de la soirée étant supérieur en Suisse (25 CHF + conso), autant aller au Green Mic Comedy (conso + chapeau) ou à bien d’autres soirées répertoriées sur le site English Comedy in Paris. Connaître les événements à venir est, par ailleurs, bien plus facile à Paris.
Les soirées d’humour avec artistes de qualité : 12 points pour la Suisse
En revanche, félicitations au Ch’nit Comedy Club pour sa soirée du 8 mai à Montbenon ! Le public a profité d’une excellente qualité d’artistes suisses, français et belges. Peut-être plus que sur d’autres sessions du plateau. En stand-up, il est si rare que tous les artistes soient bons… Or ce soir-là, la qualité de la programmation mettait vraiment en valeur le stand-up.
Les Suisses Félix Ringaby et Neal Maxwell intimideraient n’importe quel stand-upper parisien, tellement ils sont prêts à un stade précoce de leur carrière. Neal, d’après mes indiscrétions, a longuement écrit avant d’oser se lancer — près d’une décennie ! Et comme il est encore loin de la trentaine, il a le temps de son côté. C’est encore plus le cas pour Félix, une sorte de nouveau Bruno Peki au talent plus affûté encore au même âge… Imaginez donc la voie royale qui les attend !
Citons aussi Sarah Lélé et Adrien Montowski, venus jusqu’à Lausanne et toujours aussi bons. Je découvrais aussi un autre humoriste belge, Youri Nawara, vainqueur d’un concours dans ses contrées et stupéfiant. Quand on joue la carte du handicap sur scène, le danger est de susciter la pitié et de se cacher derrière elle sans avoir développé son sens comique.
Youri Nawara apporte un vent d’air frais bienvenu en évitant soigneusement cet écueil et en impressionnant l’assemblée… Excusez du peu ! Enfin, la chauffe de Bilal était impeccable. Meilleure encore que celle d’un Karim Thioune à Paris ; les connaisseurs apprécieront la teneur du compliment. Et que dire de Nathanaël Rochat, taulier indéboulonnable qui n’a qu’à dérouler pour satisfaire tout le monde. Toujours un franc succès.
Humour en plein air : pas de point pour quiconque
Côté déception, j’en ai déploré une. Open Air est un festival qui a lieu chaque année sur la place en face du théâtre Boulimie. Un show de 3 jours organisé par le Caustic Comedy Club et le théâtre lausannois. Je trouvais la programmation un peu faible, pour être honnête. La sauce ne prenait pas dans l’agencement de tous ces ingrédients, même les plus raffinés. Individuellement, on retrouvait des artistes solides, parfois aguerris. Mais l’harmonie manquait.
Renouvellement des troupes : 10 points pour la France, 5 pour la Suisse
En plein air, les conditions sont délétères pour l’humour (même si j’ai des bons souvenirs du Buttes Chaumont Comedy Club). Personne n’a vraiment envie d’être là, coincé à écouter de trop longs passages alors que l’heure du souper approche. Les rires étaient donc trop timides… Le public, nombreux, s’étalait trop loin pour interagir sans s’égosiller avec les artistes à l’autre bout de la cour. Même pour les bons passages, on s’ennuyait donc souvent. La boisson offerte et le temps radieux n’éclipsaient en rien ces désagréments.
D’autant plus que comme les artistes suisses sont moins nombreux, vous risquez de voir le même passage que deux jours plus tôt. Je connaissais la chute de Neal, et même s’il parvenait à réanimer la foule après un four, il ramait comme un athlète d’aviron sur le lac Léman. C’est bien pour ceux qui découvraient les artistes et voulaient donner leur chance à des nouveaux venus, mais l’écart de performance entre ces soirées et, par exemple, le Couleur 3 Comedy Club était trop net.
Me vient donc une question, qui me trotte dans la tête depuis plusieurs années. Suis-je férue d’humour suisse ou d’humour à la sauce Couleur 3 ? Je pense que la deuxième option est la plus probable. On est loin du spectacle incroyable de Robin Chessex vu une station de métro plus loin, à l’ABC… Ou celui de Donatienne Amann, par exemple.
La nouvelle génération à la radio : 12 points pour la Suisse
Mentionnons également que sur Couleur 3, le niveau peut parfois être hétérogène. J’étais à l’émission des bras cassés du 8 mai avec Alix Henzelin, Albert Chinet et Yoanna Sallese. Alix est la toute dernière pépite de la station lausannoise. Arrivée peu après Sabrina Colongo, l’une de nos dernières découvertes, elle impressionne d’emblée. Sans surprise, Alix était au-dessus du lot ce soir-là, Valérie Paccaud permettant contre vents et marées de transformer le show en fun.
Il faut dire qu’Albert Chinet était un peu en dessous en ce jour férié chez les Frouzes. En effet, il n’y avait pas de personnage comme Jean-France dans ses papiers. Également, il semblait déprimer à l’idée de ne plus rouler en bagnole. Côté repartie, sa capacité à bien rebondir et sa pertinence sauvaient sa prestation globale. Comme il le dit souvent, c’est un touche-à-tout globalement bon un peu partout plutôt qu’un expert dans un domaine. Ses improvisations et sa musique lui offrent de multiples cordes à son arc.
Yoanna cherche également ses marques dans l’émission comme sur scène. Toujours en progression, elle peine encore à se faire confiance pour délivrer son plein potentiel. En revanche, pour la suivre depuis un open mic au Comedy Club 13 d’il y a un ou deux ans, elle se prend un peu trop la tête. En effet, elle a signé quelques coups d’éclat dans ce show, qui vont se pérenniser. C’est son côté titi parisienne qui l’influence ici, parce que son exceptionnelle au Point Virgule livrait de belles promesses. Maintenant, il faut les tenir… Or comme elle travaille dur et elle cultive une ambition saine, je ne m’inquiète pas outre-mesure.
La scène humour suisse à Lausanne : une alternative aussi rafraîchissante qu’indispensable face à la jungle parisienne
Cette semaine suisse était donc toujours aussi agréable, malgré une impression de tourner en rond. Clairement, voir du stand-up ou écouter des chroniques en suisse ne réunit pas l’ensemble de la nouvelle génération des humoristes. Il faut meubler avec du temps passé dans les nombreux espaces verts de Lausanne — on a connu pire programme.
En revanche, le caractère alternatif de cette scène est appréciable. Plus influencée par l’humour nonsense à la sauce des Nuls que par la satire irrévérencieuse chère à la France, elle fait beaucoup de bien. Mon rapport à la Suisse est donc clair : je dois m’y ressourcer ponctuellement pour trouver un équilibre dans mon appréciation comique.
Paris jouit d’une scène vaste et diversifiée, mais rien d’équivalent à ce qu’on peut expérimenter à Lausanne. Si vous avez l’occasion, tentez l’expérience. Le Couleur 3 Comedy Club approche début octobre (voir programmation ci-dessous) et nous verrons de nouvelles têtes qu’on attend avec impatience aux côtés d’artistes confirmés ! Soyez aussi attentifs car la radio suisse nous rendra visite en août à deux reprises (au moins). On se réjouit, comme on dit à Loz’ !
Couleur 3 Comedy Club : programmation du festival au D! Club
Cette année, les nouvelles têtes se répartiront sur les trois jours du festival aux côtés d’humoristes plus confirmés.
Horaire | Jeudi 3 octobre | Vendredi 4 octobre | Samedi 5 octobre |
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17h | Pas de show | Pas de show | Yacine Nemra Charles Nouveau Julie Conti Paul Walther David von Ritter Lord Betterave |
19h | Yacine Nemra Thomas Wiesel Julie Conti Paul Walther David von Ritter Lord Betterave | Laura Chaignat Nathanaël Rochat Alix Henzelin Renaud de Vargas Donatienne Amann Jérémy Crausaz | Valérie Paccaud Yoann Provenzano Tristan Lucas Robin Chessex Marion Agoston Philippe Battaglia |
21h | Valérie Paccaud Nathanaël Rochat Tristan Lucas Robin Chessex Marion Agoston Philippe Battaglia | Les Infiltrés Blaise Bersinger Sabrina Colongo Julien Doquin de Saint Preux Thomas Wiesel Thibaud Agoston | Les Infiltrés Blaise Bersinger Sabrina Colongo Julien Doquin de Saint Preux Charles Nouveau Thibaud Agoston |