Où va le Couleur 3 Comedy Club en 2024 ?

Juliette Follin 14/10/2024

Fin août 2024, le Couleur 3 Comedy Club se produisait à Paris. Cinq artistes investissaient ainsi la Maison Suisse, nichée dans l’ambassade helvète. Un événement certes différent des soirées hors les murs de la station, mais riche en enseignements. Si l’on adore l’essentiel de ce que crée la station lausannoise, certains points liés au stand-up et au format comedy club méritent sans doute amélioration.

Le Couleur 3 Comedy Club investit Paris en 2024 : du stand-up en plein air avec un casting parfois éloigné des plateaux d’humour

À la présentation, on retrouvait Valérie Paccaud, suivie de Yoann Provenzano. Ce dernier est l’un des stand-uppers les plus en vue de Suisse. Ensuite, le réalisateur et chroniqueur Robin Chessex prenait le micro. Très remarqué dans son stand-up Pas toujours faire tout juste, il offrait une prestation peu représentative de son potentiel. Pourquoi ? Tout d’abord, car l’événement se tenait en plein air, face à des personnes venues pour autre chose. Citons, pêle-mêle, l’envie de manger suisse ou de regarder les épreuves paralympiques.

Pour Valérie Paccaud, sa prestation stand-up parisienne était en-deçà de celle vue au D! Club en 2023. Sans captation prévue, il y avait aussi moins d’enjeu… Le set de 2023 lui ressemblait et son storytelling le rendait impeccable. En revanche, à Paris, quand Valérie Paccaud parlait du Womanizer, cela ne semblait pas naturel. Comme si parler de ce sujet était un passage obligé, rassurant pour le public, tout comme y ajouter des jeux de mots…

Or on sait à quel point la patronne des Bras cassés les aime avec modération ou absents dans son émission ! Le stress de jouer à Paris a-t-il pesé dans la balance ? Heureusement, sa chauffe introductive et son identité vocale (plus son rire !) la muaient en un funambule comique. Capable d‘écrire sur tous les sujets, elle apportait aussi un angle différenciant. Même pas mal, malgré ces prises de risque !

Des artistes polyvalents, au potentiel masqué par le format comedy club ?

En clôture, Laura Chaignat et Julien Doquin de Saint Preux poursuivaient un show poussif. Fait intéressant, les 5 artistes ont une expérience en radio qui leur permettent de sauver les meubles en toutes circonstances. Ainsi, si personne n’a bidé, personne n’était à l’aise dans son milieu naturel… Sauf Yoann Provenzano. La différence entre lui et ses collègues ? Son expérience en comedy club, suffisamment assidue pour prétendre au titre de stand-upper.

Que peut-on en déduire sur le Couleur 3 Comedy Club en 2024 ? Après plusieurs saisons lors du festival d’octobre, Couleur 3 continue de propulser des chroniqueurs et animateurs radio vers le stand-up. Une discipline qui demande de s’y consacrer en permanence, quitte à se formater pendant un temps. Temps nécessaire pour comprendre les us et coutumes de cet art qui semble simple car minimaliste… mais il n’en est rien !

Seul-en-scène, improvisation, stand-up… Un mélange des genres qui fait la force des artistes Couleur 3

En cela, des profils comme Laura Chaignat et Julien Doquin de Saint Preux se mettent en risque lorsqu’ils se cantonnent au stand-up sans artifice. Preuve ultime de cette dissonance artistique ? Tous deux présentent des spectacles atypiques au théâtre Boulimie, à Lausanne. Ambitieux en termes de scénographie et de pitch, ils mettent en valeur leur talent d’acteur, voire de scénarisation pour Julien, plus que leur sens de la punchline en comedy club. Ces descriptifs de spectacle sont bien plus élaborés que ce qui se fait à Paris pour des nouvelles créations. Ils devraient en inspirer plus d’un pour élever le niveau de la nouvelle génération, je pose ça là.

L’humour suisse se distingue car il s’accorde plus de liberté selon Julien — on valide !

Des artistes comme Yacine Nemra ou Donatienne Amann, qui figureront dans la quinzaine du stand-up en mars 2025, réussissent mieux dans ce format. Comment l’expliquer ? Yacine développe un style très marqué et le complète avec une culture ciné-pop culture plus diversifiée, compatible avec le format stand-up. Laura et Julien sont davantage proches de propositions de type seul-en-scène.

Donatienne, elle aussi, rebondit au quart de tour grâce à sa grande expérience en improvisation. Son spectacle En slip mêlait habilement diverses formes sans être aussi grandiloquent que celui de Laura. Plus simple et proche du public, moins dans le besoin d’impressionner son monde, elle peut à la fois briser le quatrième mur et émouvoir avec son jeu d’actrice. Une palette plus polyvalente, sans doute… mais chacune a ses forces personnelles à faire valoir !

Quel avenir pour les soirées stand-up de Couleur 3 et les futurs spectacles de ses talents ?

Ainsi, le Couleur 3 Comedy Club gagnerait peut-être à faire évoluer son format. En effet, depuis quelques années, le scepticisme des stand-uppers habitués des plateaux d’humour helvètes gronde. Pourquoi propulser des néo-humoristes sur des shows captés, tandis que ceux qui se saignent dans les caves d’humour n’ont pas voix au chapitre ? Quitte à mettre en difficulté des artistes aguerris de la station, qui s’en sortent grâce à leur polyvalence… mais qui ne brillent pas autant que dans d’autres formats comme Bon ben voilà ou Les gens meurent.

Conserver son ADN d’innovation malgré tout : un exercice d’équilibriste

Par rapport aux failles de programmation de certains comedy clubs parisiens, Couleur 3 passe quoi qu’il arrive pour un bon élève. D’abord, le nombre d’artistes encore limité facilite le brassage et l’apparition de nouvelles têtes. Le savoir-faire de la radio en matière de formation d’artistes est indéniable. En outre, leur exposition moindre vis-à-vis de France Inter offre des conditions plus agréables pour prendre leurs marques sans faire l’objet de critiques sur la toile.

Mentionnons un autre paramètre essentiel, souvent ignoré des détracteurs de la station. Couleur 3 prend des risques, s’aventure hors des sentiers battus. L’initiative force le respect, rend la radio plus originale, singulière et lance de vraies vocations (par exemple, Sabrina Colongo et Alix Henzelin cette année). Au bout du compte, offrir à ses talents des défis qui feraient blêmir la concurrence, c’est dans son ADN ! L’enjeu est donc de ne pas se conformer au stand-up, tout en amenant les artistes de la maison à monter en gamme pour justifier des places parfois onéreuses. Un exercice d’équilibriste !

Dessine-moi un parcours idéal entre radio et scène

Certains exemples permettent même de décrire des processus de développement artistiques fructueux. En fonction de leurs meilleurs atouts, ils peuvent prétendre à un parcours presque idéal, décrit dans le tableau ci-dessous. S’ils ne sont pas obligés de s’y cantonner, je crois qu’ils optimiseraient leurs chances de succès, surtout s’ils ont une spécialité plus saillante que les autres.

Spécialité principale des chroniqueursProcessus de développement artistique
Écriture / actualitéProposer un spectacle de stand-up d’une heure avec collaboration artistique avec des humoristes aguerris (Robin Chessex, Benjamin Décosterd…).
Jeu d’acteur / animationProposer un seul-en-scène avec une scénographie, un fil rouge audacieux ou une mise en scène ambitieuse à l’aide d’une équipe pluridisciplinaire (Laura Chaignat, Julien Doquin de Saint-Preux…) ou jouer en troupe.
ImprovisationLa forme du spectacle est plus libre car ces profils hyper créatifs savent à la fois jouer et imaginer des blagues à l’écriture affûtée (Donatienne Amann, Yacine Nemra…).
MusiqueCes profils proposent davantage des concerts où ils intègrent de l’humour, on a peu vu de basculement avec le stand-up ou le seul-en-scène sur Couleur 3.
Stand-upLes profils plus habitués aux caves de stand-up réalisent l’exercice inverse et s’adaptent aux contraintes du direct en radio (improvisation, repartie, jeu…).

Le développement du stand-up suisse décuple les talents potentiels, bien au-delà de Couleur 3

Pourquoi cette réflexion dépasse-t-elle finalement Couleur 3 et son ADN comique ? Le stand-up suisse, comme d’autres en francophonie, voit ainsi son nombre d’artistes se multiplier. À une échelle encore faible, mais la dynamique est bien présente. Là où hier, il était aisé de trouver sa place, cela commence à bouchonner pour jouer son spectacle dans les lieux actuels ou faire partie des plateaux les plus lucratifs. L’identité de la scène romande se distingue de ville en ville. Quitte à s’uniformiser entre Genève, Paris et Bruxelles pour des talents comme Félix Ringaby, Cinzia Cattaneo ou Neal Maxwell, plus facilement exportables.

Genève privilégie en effet des formes de stand-up plus classiques, comme on peut le voir à Bruxelles. Ainsi, le Caustic et le Kings font régulièrement venir des artistes hors de leurs frontières. À Lausanne, si Couleur 3 et le théâtre Boulimie concentrent une belle partie de la création comique (improvisation, théâtre, radio…), les stand-uppers se retrouvent surtout au Ch’nit, au Comedy Club 13 ou dans les nombreuses soirées de l’Empire du rire, pour ne citer qu’elles. La liste est loin d’être exhaustive, surtout quand on pense à des villes comme Fribourg avec le Please stand-up ou Zurich et Comédie Suisse.

Le Pavillon Naftule, nouveau lieu éphémère à Lausanne pour de grands événements (Revue, Bersinger, Wiesel…)

Collaborer pour une meilleure représentativité, un passage obligé ?

Tous ces acteurs jouent donc parfois en silo. Parviendront-ils à se mélanger davantage, travailler de concert ? Si hier, cela n’avait que peu d’incidence, l’enjeu semble plus prioritaire. Le positionnement ambigu de Couleur 3 vis-à-vis du stand-up, où l’on semble pousser chacun vers cet art de plus en plus saturé, mériterait davantage de réflexion. L’initiative avait beaucoup de charme lors des soirées découvertes. Mais tous ont-ils la motivation de s’y mettre, ou l’effet de mode pro-stand-up les happe-t-ils vers des voies sans issue ?

Certains soulignent une déconnexion de certaines personnes qui programment les soirées Couleur 3. Ces dernières ne seraient ainsi pas toutes au diapason du stand-up actuel. Cette faiblesse se voyait clairement à la Maison Suisse, dans une ville où le stand-up règne en maître. Sans surprise, Yoann Provenzano évoluait davantage comme un poisson dans l’eau. En effet, réussir à se sortir de bourbiers comiques demande une exposition au bide quasi-permanente.

Or avec tous leurs projets, les principaux acteurs du Couleur 3 Comedy Club en 2024 ne peuvent pas tous se permettre d’y consacrer autant de temps. Leurs forces artistiques, bien connues de leur public et même des pros, doivent davantage guider les programmateurs dans leurs choix futurs. Faut-il envoyer au casse-pipe des animateurs devenus comédiens, mais éloignés des comedy clubs ? Surtout quand on pense à d’autres profils, mieux préparés à ces caves d’humour. Et si leur association apportait un autre son de cloche, plus harmonieux ? À méditer…

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