Dans Art brut, Louis Chappey se livre à la limite

Au Contrescarpe, Louis Chappey revient avec Art brut, un nouveau spectacle aussi surprenant que prometteur. Retour sur une séance riche en enseignements sur les humoristes de stand-up qui évoluent sur la corde raide…

Louis Chappey est l’un des espoirs du stand-up français. Son ascension l’a même mené, un temps, à rejoindre les rangs de JMD Production. Dumontet l’escalier, vous vous souvenez ? Cette brève aventure signifiait que le talent était là, mais le désir d’indépendance et d’évolution à la marge le préservait d’un formatage. Puisque les talents de la trempe de Louis Chappey se frayent toujours un chemin, dans Art brut, l’humoriste est toujours là. Depuis janvier 2025, il est l’un des premiers pensionnaires du Théâtre le Contrescarpe. Ce lieu laisse une belle place au stand-up depuis la reprise de la programmation par Étienne de Balasy.

Anatomie d’un talent atypique

À lieu atypique de la rue Blainville (Paris 5^e), éloigné du traditionnel 11^e arrondissement, il fallait donc proposer autre chose. Louis Chappey a toujours été emblématique de la nouvelle génération, sans jamais être un produit. Néanmoins, lorsqu’on va voir cet artiste, même avec un nom de spectacle qui renvoie à la marginalité, on s’attend à une certaine qualité. Ce n’est pas son premier spectacle, les premières années confirmaient d’ailleurs une base solide. Le mot-clé pour comprendre cet artiste est sans doute paradoxe.

En effet, en ce 10 mars, l’heure que propose Louis Chappey est déroutante. Pourquoi ? Parce que la vie n’est jamais vraiment sur des rails. À l’instant T, Louis accuse le coup, tandis que la soirée semble s’écrouler dès les premières minutes. La régie ne répond plus, l’entrée de Louis se fait attendre malgré lui. Premiers signes d’un moment très atypique.

Pourquoi Louis Chappey est-il un atypique parmi les valeurs sûres de l’humour ? Son rythme de stand-up, fait de montées en puissances, embarque le public même lorsqu’il est brouillon. On lui pardonne tout, comme à un enfant mi-gâté, mi-perturbé. Sans doute car il semble à la fois connecter au peuple et être hors-sol dans le même persona comique. Quoi qu’il en soit, son mental avait pris un sacré coup, visiblement récent. Quelques temps plus tôt, Fanny Ruwet sortait un vlog de tournée où elle dévoilait les défis en matière de santé mentale qu’elle a dû relever. Louis semble les avoir empilés un à un, comme englué dans un gloubi-boulga improbable.

Louis Chappey dans Art brut : les montagnes russes du LOL au Contrescarpe

Son talent brut, naturel, le fait tutoyer les étoiles, tandis que les circonstances engendrent une redescende brutale. Ainsi, il prend en grippe un développeur introverti dans la salle disposant d’une seule expression faciale. Inévitablement, il ne le lâche pas d’une semelle, alors que le reste de la salle vit un moment d’hilarité. Le rappel s’éternise (30 minutes !), et pourtant… il avait si bien emporté le public dans son sillage. Son secret ? Imposer son originalité sur des sujets usités, avec un regard parisien frôlant l’intoxication… mais avec des angles qui semblaient ne jamais avoir été conceptualisés. Résultat : le public, qui aurait été perdu avec un autre, profite d’un moment unique, témoin satisfait d‘une aurore boréale improbable.

Tel est le signal d’un talent incommensurable, qu’il faut dompter. Connaissez-vous le documentaire Laure ! Laure ! Laure ! consacré à Laure Manaudou ? Voir Louis Chappey ce soir-là au Contrescarpe m’y a immédiatement fait penser. Il faut un Philippe Lucas pour Louis Chappey (sans la violence des entraînements, juste histoire de le secouer un peu). En effet, ce talent OVNI a besoin d’un environnement sain et sérieux pour éclore. Nous y sommes presque : ce spectacle prouve que Louis Chappey a franchi un palier artistique. Il ne lui reste plus qu’à développer une rigueur constante, date après date. Sauf si Louis mise sur son talent brut pour imposer du foutraque, une forme d’art déstructuré et à la marge ? Faute de trancher cette question, telle sera notre passe décisive pour France Culture. La radio est souvent encline à trancher ce type de débat arty pour public branchouille de Paris intra-muros, alors… Dans le doute, forgez-vous votre avis en allant voir ce qu’il se trame au Contrescarpe !