Interview Anissa Omri : « Pendant un an, je me suis préparée à monter sur scène »
Anissa Omri fait partie des humoristes qui redoublent d’effort pour apprendre le métier. Membre du Laugh Steady Crew depuis septembre 2019, elle cogère entre autres un podcast et un plateau d’humour. Pleinement intégrée au milieu de la comédie, elle a aussi une histoire intéressante qu’on est très heureux de vous faire découvrir.
Anissa Omri, c’est le genre d’artiste qu’on pourrait manquer dans la foule des jeunes humoristes de ce monde. Alors que si l’on y regarde de plus près, on découvre une personnalité attachante, une observatrice aguerrie et une passionnée du métier. Êtes-vous prêt à rencontrer un talent paré à devenir incontournable ? L’interview d’Anissa Omri commence maintenant…
L’interview d’Anissa Omri
Qui es-tu et comment es-tu arrivée dans le stand-up ?
Je suis arrivée dans le stand-up en rencontrant mon amie Elsa Bernard. Avec elle, on avait exactement les mêmes références dans le stand-up. De mon côté, je viens d’une famille où il y a déjà eu des humoristes. Toutes les deux, on avait ce fantasme de monter sur scène qu’on n’osait pas trop assumer. On s’est dit qu’à deux, on serait plus fortes et on a essayé.
Avec Elsa, tu gères notamment le Cercle du rire…
On l’a créé à deux, car on n’avait jamais joué avant. Sans référence et sans connaître personne, ça nous paraissait logique de créer notre plateau et commencer comme ça. Quand on y pense, c’est un peu fou de faire ça à ses tous débuts.
Avant de se lancer, on avait écumé les plateaux ! On allait partout, on voulait voir tout le monde… C’était une manière de prendre la température du milieu, et on était passionnées par le stand-up… Quand tu commences à découvrir le stand-up underground de Paris, tu te rends compte que le stand-up ne se limite pas à ce qui passe à la télé. C’est aussi des mecs comme Ghislain Blique, Avril, Adrien Montowski… S’ils sont moins connus, ils te mettent des claques intellectuellement !
Cela a pris du temps, mais au final, vous n’avez pas eu de blocage supplémentaire…
Si. Entre le moment où on s’est dit qu’on allait commencer, et nos débuts, il s’est passé près d’un an. Pendant cette année-là, on répétait l’une devant l’autre chaque samedi matin. On avait la chance d’avoir accès à un théâtre à Paris pour répéter et écrire, mais on n’a jamais joué ! On se préparait simplement au moment de monter sur scène.
Quand on sait que les femmes sont moins nombreuses à monter sur scène, cette anecdote montre à quel point c’est difficile de franchir le pas !
À deux, c’est difficile… Je n’imagine même pas celles qui se lancent en solo ! Arriver seule à un open mic où tu ne connais personne, ça doit être vraiment dur… Je ne l’aurais jamais fait toute seule, je pense. Quand tu es porté par le truc, et que tu as des amis dedans, c’est plus facile.
Tu as plusieurs casquettes puisque tu as cofondé le podcast Une bonne fois pour toutes et tu travailles sur la pièce créée par ton père, Couscous aux lardons (production et mise en scène)… D’ailleurs, dans les deux cas tu travailles avec ta sœur Lisa-Margaux. Entre le stand-up et ces deux autres activités, comment gères-tu ton temps, et que préfères-tu ?
C’est compliqué ! (rires)
Je cherche encore quel est le bon rythme de travail, je n’ai toujours pas trouvé. J’ai quitté mon travail de bureau il y a un an et demi et je suis intermittente depuis un an. Depuis que j’ai mes journées de libre, j’ai alterné entre des périodes où je ne travaillais pas du tout. Pendant deux semaines, je n’arrive pas à me concentrer, je n’arrive à rien faire… Et je traverse des périodes où je passe un mois à travailler non-stop de 8h à 1h du matin, même les week-ends. Je me suis rendue compte qu’aucune des deux options n’est productive ou bonne pour la santé !
Maintenant, j’essaie de me fixer des horaires de travail, à base de plannings, de listes, d’échéances… J’essaie de m’organiser comme ça !
Tu utilises Trello ?
Non, j’ai un bullet journal, c’est magique. C’est bête, mais j’adore écrire à la main, ça m’aide à poser les choses. Tout ce travail d’organisation, ça permet de faire le tri et surtout de garder du temps pour faire autre chose que du travail ! C’est vraiment important de garder des hobbys pour l’équilibre…
Effectivement, dans le stand-up, les comiques ont parfois tendance à être trop dedans et à ne parler que de ça. C’est difficile de sortir de cet environnement-là.
Même dans tes relations amicales, un tri s’effectue un peu naturellement entre les gens que tu as le temps de voir et ceux que tu vois par défaut sur des plateaux. Tous mes amis qui ne font pas de stand-up, je les vois beaucoup moins pour la plupart. Quand j’avais du temps libre, j’allais à des plateaux. Maintenant, par contre, j’essaie de lire des livres ou aller au ciné. En ce moment, je fais de la couture, j’ai commencé un puzzle ! (rires)
Il y a aussi Cyril Féraud !
Mais tellement… Je regarde Slam en replay, ça me fait un bien fou ! C’est mon pêché mignon. J’aime bien les trucs de lettres, les mots croisés, tout ce qui tourne autour du vocabulaire. C’est très gratifiant de trouver des solutions aux énigmes…
On pourrait penser que tu as baigné dans un milieu 100% artistique, mais dans les faits, tu as grandi loin de la frénésie parisienne… Tu as un background juridique comme Caroline Vigneaux, Ayoub ou Fabien Guilbaud (je trouve cette liste improbable). C’est une semi-reconversion professionnelle, en quelque sorte ?
En effet, c’est une reconversion dans la mesure où ce que je fais aujourd’hui, je le vois peu à peu comme un métier.
J’ai toujours pratiqué un peu de théâtre. Par exemple, j’ai aidé mon père, Farid Omri, qui était producteur, metteur en scène, auteur, etc. J’ai toujours baigné dans ce milieu, mais jamais de manière professionnelle avant.
En ce moment, je me confronte à toutes ces activités : le podcast, la scène, la mise en scène de Couscous aux lardons. Si ça se passe hors d’un bureau et que je n’ai pas fait d’études pour ça, il y a vraiment une dimension professionnelle là-dedans. Cela demande de la discipline, de la rigueur…
Quand j’ai quitté mon métier de bureau, je voulais fuir le monde du travail ! J’ai fait des études de droit, et j’étais nulle en droit. Le fait de me lancer dans le droit, et de valider les années les unes après les autres, c’est un mystère pour moi. Ce sont des cursus en entonnoir, où la sélection est redoutable. Mon master accueillait 24 places pour 400 demandes, je ne sais absolument pas comment je me suis retrouvée à être sélectionnée ! Ça ne me plaisait pas du tout… Au départ, j’ai vraiment travaillé pour faire plaisir à mes parents, parce qu’il me fallait un peu d’argent, etc. Ensuite, j’ai rencontré Elsa, et on a commencé à vouloir se mettre au stand-up… Ensuite, j’ai eu l’opportunité d’avoir des cachets d’intermittente en tant qu’attachée de production. Je me suis dit : « Je vais aller vivre ma meilleure vie ! ».
Je n’ai pas vécu ça comme une reconversion, mais un retour aux sources. On arrête de se mentir !
Tu as intégré la troupe du Laugh Steady Crew à l’issue d’un open mic âprement disputé. Quels étaient les points où tu voulais t’améliorer au début, et aujourd’hui, souhaites-tu progresser dans d’autres domaines (jeu vs. écriture…) ?
C’est une question difficile. L’exercice de l’open mic est très différent de ce qu’on te demande quand tu intègres la troupe. On est recruté sur un 5 min de blagues sûres, mais ça n’a rien à voir avec la suite où on teste chaque semaine sur la base des thèmes du public. Ça n’évalue pas du tout la résistance à la pression ou l’endurance que demande l’exercice.
J’améliore mon sûr et mon travail à moi hors du Laugh Steady Crew. Au Laugh Steady Crew, c’est plus du travail de précision. Quand j’ai intégré le LSC, je devais être celle qui avait le moins d’expérience et de scènes. Je me suis rapidement sentie moins légitime. J’étais obligée de constater tous les points faibles que j’avais. Au lieu de me laisser submerger, j’ai décidé de les attaquer un par un, scène par scène.
Je pense m’être améliorée depuis le début du LSC. Mon premier LSC a été une catastrophe : énorme trou de mémoire, aucun jeu, pas de rire… Thierno était dégoûté, probablement en train de se demander s’il n’avait pas commis une erreur. Avec le recul, le texte était pas mal car il fait partie de mon sûr maintenant. Semaine suivante, je me suis concentrée sur les trous de mémoire, et ensuite sur le jeu, la voix, etc. Si ça ne se passe pas bien, mais que j’ai rempli mon objectif, j’avance, je suis refaite !
Dernièrement, j’ai fait un très bon passage… Et au final, deux ou trois très bons passages, j’en suis contente ! C’est une victoire, parce que le LSC, c’est vraiment difficile. Même si Thierno t’aide un peu, c’est un exercice assez solo. Je pense que ce travail du LSC m’a permis de m’améliorer dans le reste de mon travail, même si l’exercice est différent.
Prendre un objectif à la fois, ça aide à cadrer, en plus.
Tu es obligé ! Sinon, tu mets la barre trop haute et tu te retrouves rapidement en situation d’échec. Certains objectifs sont impossibles à atteindre : tu ne peux pas passer d’une scène horrible à une scène parfaite. Ça se construit par étapes.
Tu sais où tu veux faire évoluer ton personnage scénique ?
C’est encore trop tôt pour le dire… Mais je me rends compte que d’une scène à l’autre, je peux proposer un personnage scénique très différent. Je peux passer d’un personnage complètement surexcité à un autre très nonchalant, voire méprisant, qui ne parle pas fort et regarde par terre… Je teste différentes options, parfois même sans m’en rendre compte ! Parfois, en montant sur scène, je ne sais pas comment va sortir ma première phrase. Ce n’est pas encore tout à fait maîtrisé !
Avril m’a déjà dit que mon personnage ressemblait à Cassandre dans la mythologie grecque. C’est un personnage qui a le don de prévoir l’avenir et d’en informer les gens. Or elle a eu une malédiction en même temps selon laquelle personne ne va jamais la croire ou la prendre au sérieux sur le moment. Pourtant, elle dit la vérité et les gens ne peuvent que constater qu’elle avait raison par la suite. Avant cela, elle se fait un peu marcher dessus. Et il trouvait que je ressemblais à ça, dans ce côté : « Je rigole, mais je ne rigole pas… ». On m’a souvent dit que je surfais sur cette ambiguïté, les gens ne sachant pas déterminer si ce que je dis, je le pense ou non. Est-ce que je suis premier degré, second degré ? J’aime bien cet aspect, j’aimerais bien le développer.
J’avais relevé un détail (j’ai oublié lequel) dans ce genre dans ton 20 minutes au Cercle du rire. Ça m’avait fait penser à ce que Charles Nouveau propose sur scène… À savoir sa manière d’amener le spectateur là où il ne s’y attend pas, de passer d’un ton monocorde à un fort effet de surprise.
Tu ne te souviens pas du détail ? Peut-être que je fais ça… C’est cool si je donne cette impression, j’aime bien ! (rires)
Plus sérieusement, ça me manque encore d’avoir la maîtrise sur ce que je veux faire. Même quand ça marche, je ne sais pas vraiment l’expliquer. J’ai quelques clés, mais je ne saurais pas le refaire. Comme avec les créneaux ! Une fois sur trois, je réussis, mais alors comment…
C’est peut-être parce que tu testes régulièrement de nouvelles choses sur scène…
Je pense aussi… Ça dépend peut-être aussi des endroits où je joue.
Qui recommanderais-tu comme humoriste de la nouvelle génération à découvrir, forcément moins golri que toi mais assez cool pour assurer tes futures premières parties ?
Oh non, certainement pas mes premières parties… Moi, je pourrais peut-être faire un jour ses premières parties, un mec que j’adore : Mourad Winter. Il ne figure pas encore dans les humoristes connus, mais je pense qu’il va le devenir.
Évidemment, je recommande la troupe du LSC, je les aime trop ! Pour revenir à Mourad, j’ai vu son heure récemment… Pour la première fois de ma vie, j’ai eu le sentiment de : « C’est ça que je veux faire quand je serai grande ! ». Je ne l’avais jamais eu avant dans le stand-up. Plein d’humoristes te diront qu’ils l’ont eu en voyant George Carlin. Même en baignant dans ce milieu, je n’avais jamais eu cette sensation. Jusqu’ici, j’avais toujours vu le stand-up avec les ficelles et on m’a appris à être très critique très jeune sur le spectacle.
Pour Mourad, je me suis laissée emporter — c’était la première fois que je n’avais pas envie de voir les ficelles. Oufissime : j’ai oublié ce que c’était le stand-up, en fait ! Il m’a bluffée… J’espère qu’il va percer !
Est-ce que tu peux pitcher la force de son spectacle ?
Déjà, je trouve que c’est intelligemment écrit. C’est très fin. Il y a une couche de vernis qui a l’air hyper facile, alors qu’en réalité, c’est très complexe d’obtenir ce genre de rires aussi régulièrement. Il y a une double-lecture dans ce qu’il fait. J’étais avec Elsa, et elle a moins aimé le spectacle. Elle trouvait qu’il y avait trop d’insultes gratuites. C’est vrai qu’il commence son spectacle avec un truc qui a l’air gratuit. Il se moque de quelqu’un par rapport à son physique, disons plus ou moins handicapé (pour ne pas trop divulgâcher !).
En fait, je l’ai vraiment vu comme une manière de nous faire réaliser qu’on avait tous déjà eu un mouvement de recul, de dégoût ou de moquerie sur quelqu’un qui avait vraiment un défaut physique voyant. Le genre de truc où l’on se dit : « Wow, je ne suis pas le seul à voir ça, on est d’accord que c’est chelou ! ». Parfois, tu as envie de dédramatiser ce que tu vois par une blague. Tout à coup, ce n’est pas tout à fait si gratuit et méchant. J’ai bien aimé qu’il prenne un exemple aussi simple pour tout de suite poser la situation. Ce truc de : « On a tous des trucs horribles qui nous passent par la tête ».
Et ensuite ?
Il a embrayé sur les vrais sujets de son spectacle : la religion, le couple, l’infidélité, la politique. Il parle du fait que ses parents n’ont pas le droit de vote alors qu’ils sont en France depuis 50 ans. Qu’est-ce qui lui passe par la tête quand il voit des gens qu’ils considèrent comme teubés avoir le droit de vote, contrairement à ses parents. Tous ces contrepieds qui te surprennent, je les trouve brillants. Et en même temps, il vient te dire que c’est normal qu’il y ait des gens que tu détestes. Comme c’est normal, parfois, de ressentir de la haine ; mais fais-en quelque chose de constructif, comprends d’où ça vient, ce que tu veux en faire…
Quel est ton lieu préféré pour monter sur scène à Paris ?
De nombreux stand-uppers considèrent qu’aller faire des scènes difficiles, sans public ou avec un public OVS [qui vient pour faire des rencontres plus que voir du stand-up, Ndlr.]… Ou des salles où tu es maltraité, où il y a du bruit au fond, où il n’y a pas de micro… Que ces expériences sont censées te faire progresser. Je ne suis pas dans cette optique : dans les salles où je ne me sens pas bien, je suis en mode « pilote automatique ». Je n’améliore rien. J’ai décidé de ne plus aller dans les plateaux qui ne m’intéressent pas ou dans lesquels je passerais un mauvais moment, histoire de m’éviter quelques crises d’angoisse.
J’ai donc gardé 4 lieux ou plateaux, dont le mien, le Cercle du rire. Il y a aussi le Laugh Steady Crew, le Paname Art Café et tout ce qui se passe au Jardin Sauvage.
Ma meilleure expérience reste le Paname, je pense. Je ne m’y attendais pas : je pensais que ce serait très intimidant… En réalité, ce qui est trop bien au Paname, c’est que les autres humoristes ne te regardent pas jouer. Ils sont dans leur loge, ils font leur vie. À part Nam-Nam, ils ne font pas attention à ce que tu fais. Nam-Nam peut te parler, et en même temps prêter attention à ce qui se passe dans la salle. Ça, ça m’a libéré du poids du regard de mes pairs. Par conséquent, j’ai toujours fait des bons passages au Paname. À chaque fois, un truc supplémentaire se débloque en moi grâce à ce rapport moi-public sans interférence des autres humoristes.
Le jugement de ses pairs, c’est extrêmement difficile à gérer, en effet.
C’est très dur, il faut vraiment apprendre à vivre avec. Au début, c’est horrible.
Et dans la troupe du Laugh Steady Crew, tu ressens ça ?
En fait, au Laugh Steady Crew, on s’est tous vu bider et cartonner. Je sais que Pierre DuDza peut démonter une salle comme il peut se planter, même sur du sûr. C’est rassurant, parce qu’on se dit que ce n’est pas parce qu’on foire qu’on ne va pas réussir la semaine suivante. C’est plus comme une famille. En revanche, sur d’autres plateaux, surtout quand tu joues à côté d’humoristes que tu admires… Lorsque c’est la première fois qu’ils te voient jouer. Par exemple, au Ça dit quoi ? Comedy Club, ça devait être la première fois que Paul Mirabel me voyait sur scène. J’ai fait le plus gros bide de ma vie, et je suis à 50 % sûre que c’est lié. Le fait que des humoristes me voyaient jouer la première fois, que c’était important, que je devais faire mes preuves… Tu deviens fou !
Dans ta liste des plateaux, tu n’as pas cité le Barbès Comedy Club. C’est lié à ça ?
Je n’ai jamais joué au Barbès. Le concept des open mic me fait un peu peur, tout simplement. Ce truc de compétition, j’essaie de l’éviter en ce moment, comme je suis trop angoissée par plein de choses.
Un théâtre où tu aimerais jouer une heure ?
Genre si j’étais une star, quoi ?
[Une coïncidence fait que je manque de m’étouffer à ce moment-là. Fou rire général. On reprend.]
Tu peux devenir une star, Anissa. Pas demain, mais après-demain !
L’année prochaine, je me donne une petite année avant de percer vraiment ! En ce moment, je profite de l’anonymat… C’est un choix, que ce soit clair ! (rires)
Interlude – Anissa Omri invitée du podcast Bla Bla Clap
On dirait tellement les fausses présentations des invités dans Une bonne fois pour toutes !
C’est clair. C’est difficile comme question. J’aime bien les théâtres à l’italienne. Par exemple, je trouve ça trop cool qu’Haroun joue au Théâtre Édouard VII.
Les premières fois où j’ai joué au théâtre, étant petite, je jouais dans de beaux théâtres à l’italienne au Puy-en-Velay. Donc j’aimerais bien un beau théâtre à l’italienne, mais pas trop gros ! Genre, 500 places, tu vois.
Tu as des inspirations dans les stand-uppers plus connus ?
Comme plein de gens, je vais citer Blanche Gardin. Obligé : elle me tue, elle a ce côté « déjà culte ». Elle a vraiment marqué notre génération comme une sorte de modèle qui n’a pas peur de dire des choses qui ne relèvent pas du politiquement correct. Ce qu’elle fait est incroyablement bien écrit, elle ne subit pas la dictature du rire. Elle n’est pas dans cette mouvance de bouger dans tous les sens non plus comme ça pouvait se faire à une époque. Elle a apporté une sorte de renouveau, un stand-up qui n’est pas graveleux mais fin, élégant et intelligent.
J’adore Haroun, aussi, il fait partie de mes inspirations. D’ailleurs, avant mon open mic du LSC, j’avais passé l’après-midi à regarder des vidéos d’Haroun. Je m’étais dit que ça allait s’imprégner à moi, et comme ça j’allais être trop forte le soir. Pas sûr que ça ait marché ! (rires)
Pour finir, j’aime bien Pierre Desproges. Et en anglais, James Acaster.
Tu dévores les spectacles disponibles sur les plateformes de streaming dès leur sortie comme d’autres nerds du stand-up ?
Non, j’ai un copain stand-upper qui fait ça tout le temps. Je pense que tous les deux jours, il nous envoie : « Vous avez vu machin / truc ? J’ai pas du tout aimé / j’ai grave adoré ! ». J’ai moins ce réflexe. Par exemple, Dave Chappelle, j’ai dû le regarder pour la première fois il y a six mois. Tout le monde en parlait tout le temps. J’ai fini par le faire, histoire de dire « bon, on va regarder… ». Et en fait j’ai été bluffée. Je sais qu’il faut que je regarde les autres, genre Bill Burr… Sarah Silverman, je l’écoute, mais je n’ai pas regardé.
En même temps, avec le cumul de tes activités, tu n’as peut-être pas le temps de t’y coller ! Contrairement aux stand-uppers qui jouent toujours les mêmes blagues et n’ont que la scène, sans se forcer à une discipline de travail…
Ce n’est pas vrai, car j’écoute énormément de podcasts de stand-up ! J’ai l’impression de préférer entendre parler du stand-up, qu’en regarder. Pas sûr que ce soit très sain, mais bon ! (rires)
J’aime trop Un café au lot7 ou les gens qui débattent de stand-up. Découvrir les méthodes de travail des uns et des autres, leurs angoisses, d’où ça vient, où ça va… J’adore ce genre de trucs ! Les spectacles, je les regarde plus comme une illustration de tout ce que je peux entendre autour du stand-up. En ce moment, je regarde Comedians in cars getting coffee.
Nous avons deux points communs pas communs : nous avons à plusieurs reprises assisté à des avant-premières/conférences où Éric Judor était là en chair et en os avec un micro à la main… Et nous avons invité des gens à voir le spectacle de Jean-Philippe de Tinguy à plusieurs reprises (toi moins que moi, heureusement !). C’est une histoire de passion d’humour absurde, des comiques qui font un pas de côté ?
Ah, ouais… Je pense que c’est l’étonnement. Pour le coup, Jean-Philippe de Tinguy, je ne savais pas du tout ce que j’allais voir. J’avais eu des invitations via mon travail. Je ne faisais rien ce soir-là, alors j’y suis allée. J’avais invité une copine qui ne savait pas quoi faire non plus. Le choc ! Tu imagines, quand tu ne sais pas du tout ce que tu vas voir et que tu tombes sur ce spectacle… Celui du clown parmi les clowns ! C’est improbable, hyper drôle et hyper touchant. Tu ressors de là, il y a un avant et un après. Évidemment que j’avais envie de partager ça.
Je pense que c’est l’étonnement, la surprise de me dire : « J’ai vu quelque chose de différent et les gens ne connaissent pas ! ». Il faut que je le montre, sinon ils ne me croiront pas ! Ça ne se raconte pas. Comme je t’ai dit, j’ai vu beaucoup de stand-up étant ado, dans les cafés-théâtres parisiens. Je suivais mon père dans des festivals en province, etc. Je voyais toujours un peu les mêmes choses… J’ai trouvé de Tinguy étonnant.
Éric Judor, c’est un petit peu ça, aussi. J’aime bien le côté méta qu’il a d’observer son milieu dans Platane et de le raconter à travers un prisme un peu absurde. J’aime bien ces histoires où le personnage central semble être complètement con. Alors qu’en réalité, il y a un côté très poétique et naïf dans sa position, où il a vraiment l’impression d’être de bonne foi. En réalité, son problème, c’est qu’il est trop naïf, presque trop bon et ça le rend odieux ! Je trouve que ça fait écho à plein de choses en soi, dans la personne sociale qu’on est avec les autres. Ce paradoxe de vouloir être de bonne foi, et de faire du mal aux autres malgré soi. J’aimais beaucoup qu’il pousse l’absurde sur ce personnage-là. Il fait la même chose dans Problemos.
Tu l’as suivi depuis le début de sa carrière ?
Je pense que je l’aimais déjà bien quand j’étais petite, dans le duo Éric et Ramzy. Je les aimais tout comme j’aimais Jamel ou Gad Elmaleh et les autres. Mais le moment où je me suis dit qu’Éric Judor, c’était vraiment mon délire, c’était avec Platane. En arrivant à la fac, tous ceux qui partageaient les mêmes références que moi en humour (Alexandre Astier, etc.) me parlaient tous d’Éric Judor !
Je le voyais encore comme « le mec d’Éric et Ramzy », je ne comprenais pas. Ensuite, je suis devenue fan. Il est trop fort, si bien que mêmes ses pubs EDF, elles sont vraiment marrantes. Du coup, j’ai regardé les films après coup : la saga de La Tour Montparnasse infernale et La Tour 2 contrôle infernale, Steak… Il y a tout un univers autour d’Éric Judor, beaucoup plus complexe que ce que je voyais de lui quand j’avais 9 ans…
Comme tu le sais, Le spot du rire fait fi des échelles de popularité ou de notoriété. Je voulais te rassurer sur un point : je connais plus ton univers que celui de Squeezie. J’utilise cette manière détournée pour te laisser parler de Squeezie, car il paraît que tu l’aimes bien. Donc, on parle de Squeezie ?
J’adore Squeezie ! Je l’aime trop, je ne sais pas pourquoi. Je ne l’ai jamais rencontré, mais je ne sais pas, je le trouve hyper sympa. J’ai l’impression que c’est comme un pote. J’imagine que c’est tout le marketing autour de lui qui veut ça. J’ai tendance à vite tomber dans ces trucs-là !
En revanche, j’accroche moins avec McFly et Carlito. Je trouve ça plus « bébé ». Squeezie, j’ai l’impression qu’on a le même âge et qu’on pense les mêmes choses. Si j’étais lui, si j’avais une chaîne leader sur YouTube, je ferais pareil que lui. J’aurais une vidéo pour dire que je me moque des placements de produit ou des partenariats. Je vais faire ce que j’ai envie de faire, si je veux faire de la couture ou de la poterie, je le fais et je m’en fous. Je le trouve hyper honnête et transparent, même dans sa façon de parler d’argent ou du fait qu’il est blindé de thune.
Il n’est pas nécessairement hyper drôle, je ne le verrais pas passer de YouTube à la scène comme un Norman. Je le trouve jovial, lumineux, ça me fait du bien de le regarder. Il a un truc vachement apaisant à regarder, c’est comme si on avait des private jokes, lui et moi — alors qu’il y a 14 millions de personnes qui les partagent.
Personnellement, ça me fait ça avec la chaîne gaming de Depielo.
Qu’est-ce que c’est, ça ?
C’est un fan de sports mécaniques qui joue avec ses potes sur tous les jeux de SimRacing, genre Gran Turismo Sport. Pas la même échelle, mais je comprends.
Ah, le Squeezie du sport auto, mais pas du tout connu… (rires)
Ces chaînes, c’est une façon de ne pas se prendre au sérieux, c’est chouette.
D’ailleurs, c’est plus dur d’être plus drôle sur scène ou dans la vie ?
Ce n’est pas le même travail.
Selon toi, est-ce que tu te sens drôle dans la vie aussi ?
Dans la vie, j’ai moins peur de bider ! (rires)
Dans une conversation, tu peux décider d’arrêter de parler ou de poser des questions à l’autre pour qu’il parle. Sur scène, il y a une attente : les gens sont venus t’écouter. C’est la raison qui les a amenés dans cette salle de spectacle. Quand tu bois un verre avec des amis, ils ne sont pas sortis de chez eux juste pour t’écouter. Ils n’ont pas payé leur verre pour ça, donc on s’en fiche…
Tu n’es pas comme un Thomas Wiesel qui est rassuré par la scène, car il a prévu le texte à l’avance et il n’a pas à improviser d’interaction sociale.
Non, la scène, c’est plus difficile ! D’ailleurs, on a organisé un événement de stand-up dans une entreprise. Ils nous ont dit que certains voulaient s’essayer au stand-up. On s’est dit que ça allait être difficile, d’autant plus qu’ils voulaient directement jouer 10 minutes ! Sauf que sur les trois qui ont fait ça, un seul est humoriste, un autre a un charisme de fou et une autre nana n’avait jamais fait de stand-up de sa vie. Elle avait vraiment bossé son texte, on avait travaillé son jeu ensemble.
On s’est revues avec Elsa vivre nos premières scènes, avec ce souvenir que c’est un sacré boulot ! Il y a des règles, un rythme à trouver et tenir… Il faut s’exercer, s’entraîner, bider pour retravailler, affiner… Être drôle dans la vie ne garantit pas le succès sur scène.
Avant que j’oublie et qu’on oublie qu’on a parlé de Squeezie juste avant… Un conseil pour réussir à bien aborder quelqu’un qu’on admire beaucoup quand l’univers nous donne une chance de lui parler…
C’est pas très sympa de faire ça, Juliette ! (rires)
Attends, je n’ai pas terminé ma question. En quelque sorte un conseil pour les futurs fans d’Anissa Omri ?
Ah… Effectivement ! Je sais pourquoi tu dis ça, c’est en référence à Navo. Je suis fan incontournable de Navo. Avec Alexandre Astier, c’est l’autre grand artiste qui m’a donné envie de faire ce métier d’auteur.
Navo est venu dans le bar du Cercle du rire, et ce n’était pas prévu. Je me suis levée ce matin-là, ma vie était normale. Tout se passait bien, je n’avais pas de vague d’émotion à gérer. Et je tombe sur lui, je n’arrive pas à dire autre chose que : « Ça fait trop bizarre ! », que je répétais en boucle. Il m’a dit : « Non, ce n’était pas trop bizarre avant que tu ne le dises… ». Je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de dire ça, parce que ce serait trop bizarre… Depuis, j’ai peur de le recroiser, qu’on parle et que ça réactive ce souvenir. Et qu’il se dise inconsciemment : « cette femme n’est pas une bonne personne ».
Au moins, tu y as été au panache. Tu aurais pu faire comme si de rien n’était, et ne pas l’approcher ou lui adresser la parole.
Par contre, avant les vacances de Noël, j’étais avec Avril et j’avais croisé François Rollin à la sortie d’un spectacle. Là, je me suis dit : chill ! Et du coup, c’était trop bien, car François Rollin a détourné la conversation sur un autre sujet. Elle a commencé par un : « Bravo, beau travail, on est des grands fans de votre travail… ».
François Rollin a directement enchaîné sur les gilets jaunes, les retraites, les femmes battues. Ça marche trop comme détournement : discuter d’autres sujets que cette admiration unilatérale, ne pas laisser la conversation s’enliser… C’est un conseil que je donnerais plutôt aux stars, donc : dans ces cas-là, embraye sur un autre sujet.
Quelles sont tes actus à venir ?
Certaines choses vont arriver, mais elles sont encore secrètes. Aussi, j’aimerais bien commencer à publier des vidéos sur Instagram. Je travaille dessus avec les Ouais Ouais Ouais. Sinon le podcast Une bonne fois pour toutes ! tous les mardis, le plateau du Cercle du rire les jeudis et le Laugh Steady Crew le dimanche.
Interview Anissa Omri – Le débrief
Quand je l’ai enregistrée, mon interview avec Anissa Omri a été la plus drôle de toutes. Était-ce dû au lieu, qui était familier pour nous deux ? Ou bien au fait qu’on avait déjà beaucoup échangé sur nos goûts pendant sa première année de stand-up ? Mystère… En tout cas, Anissa Omri a longuement observé ce milieu pour être aujourd’hui en mesure d’en faire partie.
Peut-être subsiste-t-il un syndrome de l’imposteur chez Anissa Omri ? Je n’ai pas su répondre à cette question, mais j’ai découvert des tas d’anecdotes qui, j’espère, vous ont plu !
Crédits photo
Anissa Omri au Cercle du rire © Charlotte Mallo