Interview Blaise Bersinger – « Le stand-up, ça reste du théâtre ! »
Blaise Bersinger est, en quelque sorte, le Yacine Belhousse de la Suisse romande. Entre absurde et comédie alternative, ce tout jeune trentenaire a déjà la stature d’un patron du rire local. Admiré par ses pairs, adoubé par un public enclin à le suivre dans ses délires, il est aussi un bourreau de travail.
Je le retrouvais le dernier jour de la pièce Les gens meurent au Théâtre Boulimie. Malgré de nombreux projets cette année, il restait très accessible et avait encore envie d’en découdre… Rencontre avec un comique prolifique.
L’interview de Blaise Bersinger
Comment te présenterais-tu au public français ?
Blaise Bersinger — (Longue hésitation) Il va falloir que je fasse des comparaisons locales ! Je suis un mélange entre Monsieur Fraize et François Rollin, avec une couche de terroir alpin… Dit comme ça, j’ai l’impression que ça fait prétentieux, c’est pour situer l’univers plus que le niveau. Rollin, ça me ressemble un peu ?
Dans la nouvelle génération, certains le prennent pour modèle et c’est très ressemblant… Mais je n’aurai pas dit ça !
B. B. — Alors, je suis un mélange entre Marc Fraize, François Pérusse avec une couche de terroir alpin.
Là, c’est exactement ça. Bravo ! En préparant cette interview, j’ai été frappée d’une chose : tu es partout, dans toutes les revues, le théâtre/stand-up/l’improvisation, les spectacles, tous les médias : radio, TV, internet… Qu’est-ce que tu ne peux pas faire, qu’est-ce que tu préfères faire ?
B. B. — Du sport ! (rires) Je dirais composer de la musique. Effectivement, je le fais, mais dans une très moindre mesure. C’est drôle parce que c’est nul, mais je n’arrive pas à faire du beau !
Je suis incapable de dire ce que je préfère… Je préfère tout mélanger, je crois !
Tu es intarissable, donc. Tu t’ennuierais, sinon ?
B. B. — Non, parce que j’aime bien l’inactivité ! Cela peut paraître fataliste alors que c’est super, mais je subis les projets que je dois réaliser. Tout ce qu’on me propose me le permet. Je ne me suis jamais dit : « Je dois absolument faire une revue ». On m’a mis le pied à l’étrier pour chacun de ces projets…
C’est la spécificité suisse : avec moins d’humoristes confirmés, il faut être sur tous les fronts !
B. B. — Comme on est moins nombreux, on se retrouve plus vite sur le devant de la scène.
Tu as quand même plusieurs spécialités : jouer avec la langue, les gags sonores, l’absurde… Ces choix artistiques sont-ils venus comme ça ? Tu as trouvé ton style rapidement ?
B. B. — Je pense que comme pour Yacine [Nemra], ça vient de l’improvisation. Je compare souvent cette discipline avec le scout !
[Yacine, également présent, nous interrompt :]
Yacine Nemra — J’ai dit exactement la même chose à Valérie Paccaud hier.
B. B. — Il y a un côté familial, mais une famille dans un milieu artistique. Tu intègres une famille d’humour et ton style se développe naturellement. Les improvisateurs fonctionnent par génération ; chaque génération développe ainsi un style d’humour différent.
Quand j’ai débarqué dans l’humour, on m’a rapidement apposé une étiquette singulière. Mais depuis que les improvisateurs sont plus nombreux, on me le dit moins !
En France, j’ai l’impression que les improvisateurs mêlent moins d’autres formes d’humour et se spécialisent davantage.
B. B. — Je suis peut-être l’exception qui confirme la règle ! (rires)
Y. N. — Il y a tout de même Issa Doumbia, Alban Ivanov, Laurie Peret, Gérémy Crédeville…
Le spot du rire a créé un think tank d’un membre (moi) pour te faire jouer à Paris. Or cela ne t’est pas indispensable et tu n’as sans doute pas le temps pour ça.
B. B. — De plus en plus, je l’envisage.
Comment permettre à un artiste de « comédie alternative » de s’exporter et de bénéficier d’une bonne promotion sur place ?
B. B. — J’en parlais à Julien Doquin de Saint Preux, d’origine parisienne et qui vit et exerce le métier en Suisse. Selon lui, j’aurais tout intérêt à y aller et à me présenter comme un humoriste de niche. Il ne faut pas venir en se disant « je vais voir ce que c’est, l’humour suisse ».
En effet, je ne suis pas un humoriste universel et la meilleure stratégie serait peut-être de ne pas mentionner cet aspect suisse ! C’est même risqué : j’ai parfois peur d’avoir un humour très terroir, pas forcément exploitable. Cela répond à ta question ?
Ça me semble très clair : il faut que tu marques ta singularité pour que le public soit averti et en profite bien plus encore !
B. B. — C’est ça : dire « ce n’est pas comme les autres », même s’il y a sûrement des gens qui sont dans cette mouvance.
En comédie alternative, même si cela commence à évoluer, il y a peu d’artistes vraiment identifiés comme tels. À part Yacine Belhousse qui t’avait cité dans son interview !
B. B. — On avait fait un plateau ensemble à Genève une fois. La programmation, c’était Belhousse/Bersinger. Je me disais que c’était cool d’avoir mis Yacine pour remplir la salle. On m’avait répondu : « Ah non non, on t’a mis pour remplir la salle pour Yacine ! ». J’étais hyper surpris, extrêmement flatté ! Au bout du compte, on ne sait pas qui a rempli la salle de qui… (rires)
Y. N. — C’est l’autre Yacine qui a rempli la salle…
Le vrai, l’authentique Yacine ! (rires) J’enchaîne avec une question que j’ai posée à Yacine… Pas Belhousse, du coup ! Tu réussis à prendre position, t’engager dans ton humour… sans que ça ne soit pesant.
B. B. — Peut-être car je le fais très peu.
Je pense à ta chronique sur l’écriture inclusive, bien pensée et bien amenée. Comment abordes-tu l’humour engagé pour ne pas cliver et toucher à la fois les pour et les contre ?
Je ne me suis pas trop mouillé dans mon angle, cela dit. C’était : « Laissez faire ceux qui essaient de l’utiliser dans la langue » et non un pamphlet pour défendre cette initiative. En revanche, dans les revues, je mets plus d’avis politique. C’est drôle : dans les revues, ceux qui pensent l’inverse de moi disent : « J’étais bien d’accord avec vous ! ».
Tu joues actuellement dans la pièce Les gens meurent avec une partie de la bande des Bras Cassés. Pourquoi avoir monté un tel projet ?
B. B. — Tu connais le groupe One Direction ?
Hmm… Oui !
B. B. — Comme ça ! On nous a dit : « Hey, vous 5, vous devriez faire un truc ensemble ! » et on a dit oui.
Comme Yacine me le confiait, c’est quelque peu dans la continuité de Bon ben voilà.
B. B. — Oui, à une différence près. C’est davantage Julien Doquin de Saint Preux qui a monté son équipe. L’idée de monter un spectacle ensemble venait du directeur du Théâtre Boulimie.
Qu’est-ce qui est le plus satisfaisant ou le plus compliqué ?
B. B. — Le plus satisfaisant, c’était de voir comment les 5 univers se mélangeaient. Ce n’est jamais gagné d’avance, et je trouve que le pari est réussi !
Le plus compliqué, c’est la même chose. Mélanger les 5 plumes, les 5 egos… On a eu de la peine, parfois.
Yacine m’expliquait qu’il y avait plein de difficultés dans la création…
B. B. — Je ne les vois pas comme des difficultés. On s’est beaucoup engueulé, mais ce n’étaient jamais des engueulades…
Y. N. — …qui mettaient le projet en péril.
B. B. — Oui : c’était plus car on voulait arriver à quelque chose de probant. Ça a été une émulation bénéfique, c’était sain ! Ça n’a jamais posé problème, paradoxalement.
Il vaut mieux que ça sorte, parfois. Je vais revenir à ton originalité et ta présence dans la comédie alternative. Comment cultive-t-on son originalité en produisant autant de contenus humoristiques ?
B. B. — J’ai l’impression que c’est en produisant beaucoup que je cultive mon originalité. Je pense avoir évolué depuis mes premiers pas, quand j’avais 20 ans. En regardant, j’ai l’impression que ça a vieilli. Ou en tout cas, je regarde cela en mesurant le chemin parcouru.
Je mène de nombreux projets successivement, je n’ai donc pas le temps de me demander comment je vais me réinventer. Quand j’aurai réussi à avoir un rythme de vie qui m’accorde des pauses, on verra davantage les différences d’un projet à un autre.
On parlait de ta polyvalence… Y a-t-il des choses que tu détestes en comédie ?
B. B. — Je n’aime pas quand un(e) humoriste fait de l’humour pour faire de l’humour. Quand tu vois les ressorts du stand-up, mais pas la volonté de raconter un truc. Sur 10 minutes, quand tu as 5 minutes de « Comment ça va ? Ça me fait plaisir d’être là ! » et 5 minutes de « C’est tout pour moi »… Il me manque un propos, une histoire.
C’est mon côté Astier qui parle, quand il dit : « Je ne fais rien qui ne raconte pas d’histoire ». Ça peut être une histoire très bête, comme un chat qui pète… L’important, c’est de proposer du contenu et non pas seulement les artifices.
C’est un phénomène qui se voit encore un peu, même si ça diminue : jouer au stand-upper sans en faire.
B. B. — Ces personnes veulent faire du stand-up sans ressentir l’urgence théâtrale de raconter quelque chose. Le stand-up, ça reste du théâtre !
Tu prêches une convaincue ! Sujet plus léger : un mot sur ton podcast, le Partajeu. Tu l’as cocréé avec ta moitié, Donatienne Amann ?
B. B. — Oui, on l’a créé en février 2020. C’est un projet super cool à réaliser : c’est un jeu de société à écouter. Le but du Partajeu, c’est de rencontrer nos invités. En d’autres termes, c’est un jeu de plateau qui génère une interview.
On voulait travailler à deux, mais on avait peur de la hiérarchie. Et pour ce projet, on a eu l’idée en vacances et on s’est tout de suite dit qu’on pouvait le faire à deux. On s’est jeté dans le projet et on essaie de le professionnaliser. À partir de la rentrée, on va tenter d’enregistrer un épisode par mois.
On arrive au terme de l’interview. Je voulais te livrer une analyse et te demander ton avis. On se rend compte que tu prends beaucoup de libertés dans ton art pour suivre tes envies, et ça se ressent dans la qualité des produits finis. Es-tu d’accord ?
B. B. — Je crois que j’ai de la chance ! Avec mon style, on s’attend à ce que je sorte du cadre et que je fasse n’importe quoi. Ça me permet de le faire tout le temps ! Tout à l’heure, je donnais une interview pour un journal. L’une des questions, c’était de conseiller un livre et de dire pourquoi. J’ai dit :
Je vous conseille ce livre-là ! L’écrivain me l’a offert… Si je ne le lis pas, ce n’est vraiment pas poli.
En vrai, je n’ai pas lu le livre, et ils n’en attendaient pas moins de ma part ! Ça passe… alors que dans les faits, je n’ai pas répondu à la question. Ça me permet aussi de fuir les gens collants, en soirée par exemple. Je peux dire : « Oh, regardez ! Un oiseau ! » et repartir… Les gens riraient, en mode : « Il est con ! (rires) ». Avec quelqu’un d’autre, ça ne passerait pas…
Interview Blaise Bersinger – Le débrief
Cette interview de Blaise Bersinger était particulière… Il venait de rejoindre Yacine Nemra dans un bar non loin du Théâtre Boulimie. En effet, Yacine ne savait plus comment accéder au théâtre lorsqu’il n’y a personne. Habituée à échanger en face-à-face avec mon invité, j’ai perdu le caractère intimiste dans ce processus.
Quelque part, ça n’avait pas d’importance. Avant l’interview, Blaise Bersinger était l’un de ceux avec lesquels j’avais le plus échangé. Je pouvais donc me permettre une certaine familiarité. J’espère vous avoir permis de mieux le connaître. Et ensuite de profiter du jour où, enfin, son humour singulier se produira en France…