Interview Cédric Bonneau : « Apprendre un texte, ça me fait flipper »
Antoine Richard, Bordeaux — Cédric Bonneau a fait partie de la compagnie Déclic avec Laurent Ournac, Issa Doumbia et Alban Ivanov. Il a baigné dans l’improvisation toute sa carrière des Yvelines jusqu’à Bordeaux où on le retrouve aujourd’hui. Il y a un an, il créait « L’école du One Man ».
Entretien avec un homme qui n’aime pas apprendre des textes par cœur mais qui aime transmettre aux autres.
L’interview de Cédric Bonneau
Tu as fait partie de la compagnie Déclic aux côtés d’Alban Ivanov, Jamel Debbouze ou encore Arnaud Tsamère. Pourtant, tu ne fais pas de one-man-show. Pourquoi ?
Ça peut paraître bizarre car ils font tous du one-man. On me disait que j’en avais le potentiel aussi. Or me retrouver seul sur scène a peu de sens pour moi. Je préfère m’éclater avec mes potes en improvisant. Si je devais créer un one-man-show un jour, je ne l’écrirais pas. Je l’improviserais de A à Z.
Tu n’aimes pas être seul sur scène, donc. Que penses-tu du stand-up ?
Personnellement, une vanne toutes les 30 secondes, je n’y crois pas. C’est ma vision des choses. Je préfère des humoristes comme Albert Dupontel, Elie Kakou ou Dieudonné, avec son sketch sur le divorce de Patrick.
Il y a quelques années, le stand-up ne prenait pas autant de place. Quel regard portes-tu sur cette tendance ?
Je pense qu’il y a une uniformisation du stand-up dans l’humour. C’est très français, je crois. Quand il y a un nouveau truc à la mode qui arrive, tout le monde en bouffe.
Quelle différence vois-tu entre le stand-up et l’improvisation ?
Quand on improvise, ça part de l’intérieur vers l’extérieur. C’est important de dire les choses comme on veut les dire, pas juste pour plaire. Avec le stand-up, j’ai l’impression que ça va de l’extérieur vers l’intérieur. Qu’il y a un besoin de réaliser beaucoup de blagues pour faire rire. C’est un peu une question d’ego et pour moi ça renvoie à une nonchalance sur scène. Puis, ce que j’aime dans l’impro c’est que j’entends et je vois, dans le stand-up j’entends juste.
Pour beaucoup de monde, l’impro semble être un exercice qui fait peur…
Tout est une question de point de vue. Chacun vit dans sa propre réalité. Tout le monde est capable d’improviser ! Cependant, il faut pouvoir le voir d’un certain angle. Je pense au nombre de comédiens qui ne s’en sentent pas capables, mais qui hallucineraient en le découvrant ! Personnellement, apprendre un texte me fait flipper. D’ailleurs, la seule fois où j’ai fait du théâtre, je ne lisais pas le texte ! (rires)
Tu as dû faire des matchs d’impro ?
J’ai une anecdote sur un match d’impro. Un jour, avec toute la compagnie Déclic, on se retrouve à la ligue d’improvisation des Yvelines pour le « Match des étoiles ». Le match opposait les anciens de la compagnie aux jeunes. Je me retrouve face à Arnaud Tsamère et on nous donne 8 minutes pour improviser ensemble à la façon d’un conte. L’arbitre siffle. Arnaud prend la parole et dit : « Je vais vous parler de Steve… Le pauvre, il est sourd et muet ! ».
Là il me retire la parole, dans ma tête je me dis : « Ah le bâtard ! ». Et les gens voient ma tête, ils sont morts de rire. Mais, finalement il me sert tout sur un plateau. Il me suffit alors de mimer ce qu’il raconte. Lui ajoute des mots en fonction de mes actions. À la fin, le public nous applaudit et vote pour moi. Je vais le remercier et il me dit : « De rien, c’est cadeau ! ».
Justement, comment vois-tu l’évolution de tes anciens camarades de la compagnie Déclic, comme Alban Ivanov ?
Le parcours d’Alban ne m’étonne pas ! C’est lui à 100%. Il ne ment pas, il kiffe la scène. Il se prenait pour un russo-manouche alors qu’il ne l’est pas, mais il adore ça. Quand il arrive, tu sais que ça va être le bordel. Un jour à Trappes, il avait essayé d’avoir deux crocodiles pour un clip. Je le vois comme un grand au cinéma un peu comme Omar Sy ou Muriel Robin. T’en as comme ça.
Maintenant tu vis à Bordeaux. Là-bas, tu as fondé L’École du One Man. Pourquoi ?
Je ne sais pas ! (rires) Il faudrait peut-être que je me pose la question. À mon arrivée à Bordeaux il y a 13 ans, j’ai crée la compagnie « La Marmaille ». Un jour, j’ai voulu travailler avec des gens vraiment prêts à se donner sur scène, ne plus faire quelque chose d’amateur. Je crois que j’aime transmettre. J’aime que les gens touchent du doigt le kiff de l’humour comme je l’ai eu en improvisant. Ce kiff, quand tu es en transe. Tu dis un truc, les gens se marrent. Tu te foires, ils rigolent quand même. J’ai vraiment envie que les gens vivent ça. C’est pour ça que j’ai créé l’école finalement.
Comment se passe la formation ?
Rien ne se passe, c’est une arnaque (rires). L’année se divise en trois parties.
La première, c’est la démystification de l’improvisation. Car quand tu improvises tu es auteur, metteur en scène, etc.
Ensuite, tu mets en place la créativité, c’est tout une mécanique. Mais, après tu peux partir de ça (il montre une barre de sucre) et tu finis avec un sketch.
La dernière étape, c’est l’improvisation en solo. Leur clown sort naturellement ! À la fin de l’année, ils improvisent sur les thèmes de leurs choix. Après la formation, s’ils veulent faire du stand-up, ils partent avec ce bagage de l’improvisation.
Dans tes cours, tu utilises la PNL. Peux-tu nous expliquer ce dont il s’agit ?
La programmation neuro-linguistique est une technique de communication très puissante. C’est aussi un outil de développement personnel. Le but, c’est de leur faire visualiser comment ils veulent jouer. Je leur demande de fermer les yeux, de s’imaginer dans un théâtre et de se regarder jouer sur la scène de ce théâtre. Ils voient ce qu’ils rêvent de faire. Le but ensuite, c’est qu’ils le vivent sur scène et de l’ancrer en eux.
Que penses-tu des improvisateurs bordelais ?
Quand j’étais à Trappes, j’entraînais les juniors. Ils avaient un délire, une tchatche. Ils venaient de toutes les cultures, c’était leur force. Chacun prenait de tout le monde. Face à des adultes de Bordeaux, ils les rétament. Ces gars étaient des Jamel Debbouze en puissance.
Dans le documentaire que j’ai fait avec Jamel (Liberté, égalité, improvisez), on a été dans les quartiers de Bordeaux. Un jeune a confondu îles balnéaires et îles Baléares, ça a fait rire tout le monde. Dans Bordeaux-même justement ça manque de délire, c’est très classique. Ça manque de connerie.
Une anecdote pour conclure ?
Un jour, j’ai eu l’opportunité de parler devant des conférenciers au Palace à Paris. Mais au dernier moment, j’ai dit : « Je ne le fais pas » car j’avais trop peur. Dans le couloir, en partant, je croise une personne qui me demande :
— Tu l’as appris par coeur ton texte ?
— Oui !
— Tu fais de l’impro ?
— Oui !
— Tu ne crois pas qu’il y a un problème ?
Finalement, j’y suis retourné ! On m’a présenté comme celui qui allait parler du mode d’emploi du cerveau. Et j’ai rétorqué : « Je ne vais absolument pas parler de ça ! ». Au final, je donne une conférence de 20 minutes sur ce que je venais de vivre et sur la nécessité de faire les choses avec le cœur.
Interview Cédric Bonneau – Le débrief de Juliette
Cédric Bonneau est l’archétype des travailleurs de l’ombre du rire. C’est le genre de personnes qui a mille anecdotes à raconter et un vrai recul pour analyser l’évolution de l’humour. Côtoyer des talents aussi marquants que Jamel Debbouze ou Alban Ivanov, ça n’est pas donné à tout le monde…
Nous sommes ravis de publier son témoignage aujourd’hui, signé par notre journaliste Antoine Richard. S’il vous a permis de découvrir de nouvelles références, alors notre mission est accomplie !