Interview Cyril Hives : « Ceux qui progressent écrivent tous les jours »
Ma rencontre avec Cyril Hives remonte à une édition du One More Joke. Dans les loges, le courant est tout de suite passé. J’ai vite compris que le garçon savait de quoi il parlait et avait envie d’en découdre. S’il avait pu jouer ce soir-là, il aurait tout donné.
Depuis, on échange constamment sur le stand-up et la vie. Il est comme ça, Cyril : il « tchatche ». Il joue souvent en plateau d’humour, a même géré plusieurs soirées stand-up à Paris. C’est une figure incontournable de la nouvelle génération (qu’il connaît très bien !), même s’il doit encore produire un spectacle.
C’était l’occasion de voir où il se situait par rapport à l’échéance. La bonne nouvelle, c’est qu’elle s’approche à pas de géant. Découvrez-le avant cette étape charnière de la vie de tout humoriste actuel.
L’interview de Cyril Hives
Depuis notre rencontre au One More Joke, tu as fait un peu de chemin… Dans quelle mesure es-tu plus à l’aise sur scène qu’au début ? Pour toi, quel truc t’a fait le plus progresser ?
Le fait de jouer beaucoup et dans plein de contextes différents… Et la remise en question après les bides. Un peu comme tout le monde je crois.
Le progrès, c’est pas mal subjectif. Il passe d’abord par la confiance des gens autour de soi. C’est super agréable de se faire inviter par des programmateurs ou de de recevoir la confiance du public : « on te fait confiance, tu vas pouvoir jouer ! ».
Plus globalement, il y aussi la confiance des gens de la communauté stand-up. Mais c’est surtout la Comédie Passagère qui m’a fait progresser. L’été dernier, en 2018, Betty Durieux partait au Canada pour une durée indéterminée. Elle s’occupait de deux plateaux : le Jardin s’enjaille avec Rey Mendes, et la Comédie Passagère qu’elle gérait toute seule. J’y avais fait un 5 minutes et j’avais adoré. On en avait discuté, et elle m’a confié les clés du plateau. Assurer la présentation du plateau m’a permis de sortir de mon personnage de « loser-timide ». Ce personnage ne me correspondait plus du tout…
C’est étonnant, puisque j’entends souvent des humoristes trouver difficile de gérer un plateau. Parviens-tu à jouer ton set et à organiser la soirée en restant serein ?
C’est effectivement un exercice difficile. Quand on regarde de plus près, on voit qu’un plateau se gère souvent à plusieurs : 2, 3 ou 4 personnes. Et elles se partagent les tâches entre la programmation, la présentation et la communication. Je n’avais pas anticipé tout ça lorsque j’ai repris la Comédie Passagère ! Je me suis dit : « ah d’accord, je vais m’en occuper tout seul », et effectivement c’est très bien de partager ces tâches-là. J’avais envie de me prouver que j’en étais capable.
Bien sûr, organiser une soirée humour, ça prend du temps. À l’époque, j’avais mon propre plateau et je travaillais encore à côté de la scène. C’est compliqué, mais ça reste faisable. La clé, c’est de bien préparer son set en amont. Quand tu montes un plateau, tu as déjà une partie de ton matériel qui est sûr. Avoir un plateau, c’est aussi s’accorder le droit de ne pas tout défoncer à chaque fois : tu peux tester de nouvelles blagues… En plus, réussir à être meilleur dans des conditions plus difficiles pour toi, c’est gratifiant. Tu espères les gens ne sentent pas une différence de niveau trop forte entre toi et les autres invités.
Ça rappelle un peu les débuts du 33 Comedy, où Antek, Ghislain et Jean-Patrick invitaient des humoristes plus confirmés et apprenaient dans le même temps…
Et désormais, tu te dis : « J’ai envie d’aller voir Antek, Ghislain et Jean-Patrick » !
Revenons en arrière. Qu’est-ce qui t’a amené à monter sur scène ?
Gamin, j’adorais Franck Dubosc Laurent Gerra, Antony Kavanagh, peut-être celui que j’ai le plus regardé. Avec mes frères, on rejouait les sketches de Laurent Gerra ensemble. On écoutait Rire et Chansons… Au lycée, j’étais fan des 2 minutes du peuple de François Pérusse : ce sont des contenus humoristiques fantastiques. Avec mes amis, reprendre du François Pérusse, c’était comme si on chantait de la musique ! On les récitait ensemble et on s’amusait trop.
Au lycée, je faisais du théâtre et je lisais Rock & Folk. Je lisais toutes les chroniques de Thomas VDB, dont j’adorais l’enthousiasme ! Je suis allé voir son premier spectacle En rock et en roll deux fois, et j’avais adoré.
D’un autre côté, je suis resté à l’écart de faire de l’humour très longtemps car je ne me reconnaissais pas dans les contenus proposés et je pensais que ce n’était pas pour moi. Quand j’ai découvert le stand-up avec Louis C. K., j’ai trouvé ça bien plus intéressant. J’étais longtemps fan de stand-up, un peu comme tout le monde… J’ai mis 3 ans avant de me lancer. Entretemps, je suis parti à Montréal où j’ai vu du stand-up au festival Juste pour rire. Je n’envisageais pas encore d’en faire.
Une fois rentré en France, j’étais vraiment devenu obsédé. J’écoutais des podcasts à longueur de journée et je regardais tout le temps des séries sur le sujet.
Puis un soir, j’ai cherché « stand-up Paris » sur le web et j’ai découvert que j’habitais à côté du Paname Art Café. J’y suis allé un soir où il y avait Rémi Boyes et Joseph Roussin. Il devait aussi y avoir Lenny M’Bunga et Ahmed Sparrow. À une époque, j’y retournais plusieurs soirs par semaine. J’adorais ça, jusqu’à croiser un stand-upper qui me voyait souvent. Pour lui, c’était clair : j’allais me lancer.
Et aujourd’hui, qu’est-ce qui te motive dans le fait de monter sur scène ?
Ces derniers temps, c’est la possibilité de tester ! Maintenant que je ne travaille plus, l’objectif c’est de profiter de ce temps libéré pour construire mon heure. J’ai moins d’excuse pour ne pas y aller ! Certains d’entre nous se lèvent à 8 heures tous les matins pour pondre des vannes et les tester… C’est là que tu te rends compte que l’humour est un travail. Les gens qui bossent le plus sont ceux qui ont le plus de chance d’y arriver.
Étrangement, ce qui me motive le plus parfois, c’est de faire marrer mes potes humoristes. Ce n’est pas forcément le meilleur moteur : il faudrait avoir en priorité de faire rire le public. Faire rire les humoristes, ça ne mène nulle part !
C’est clair qu’un humoriste ne va pas rire pour les mêmes raisons que le public…
Exact. Un humoriste va apprécier certaines blagues plus que d’autres car il connaît les rouages et les ficelles de la blague. Dans ce cas-là, les humoristes vont te dire : « c’est trop marrant, c’est une bonne idée et tout ! ».
De l’extérieur, tu as ce côté bienveillant et hyper sociable avec les gens du stand-up et les autres. Est-ce que c’est facile d’avoir cette attitude dans le monde concurrentiel des plateaux ?
Je ne sais pas si je suis hyper sociable ou bienveillant, mais je m’amuse bien. Ce milieu concurrentiel n’empêche pas de prendre du bon temps. Voir quelqu’un très bien marcher n’empêche pas que tu peux aussi cartonner. Ça me semble difficile de vraiment mettre des bâtons dans les roues de quelqu’un.
Dans le même temps, je relativise mon niveau actuel. Je joue à Paris, et j’évolue dans le milieu des plateaux d’humour organisés par d’autres humoristes. Je joue dans des cafés-théâtres, pas encore dans de grandes salles. Ça reste un tout petit milieu. Tu sors des 10e et 11e arrondissements, personne ne sait de quoi il en retourne.
Si je ne m’étais pas fait des potes dans le milieu et que ce n’était pas agréable de retrouver tout le monde, j’aurais arrêté. Au départ, avant d’avoir envie de faire carrière, tu regardes si tu trouves ça sympa d’en faire une occupation. Je m’entends mieux avec certaines personnes que d’autres, mais je me suis vraiment fait des amis. Ce sentiment de communauté, c’est trop cool. Quand j’étais dans la musique, je voulais être dans un groupe de rock. Le but, c’était d’être quelques amis, unis par le même objectif. Le stand-up est un art un peu plus solitaire : tu es seul sur scène. À la sortie de scène, cela dit, mes potes vont m’écrire pour me demander comment ça s’est passé.
Et justement, quand tu sors d’un mauvais passage…
J’ai cet avantage de ne jamais avoir de mauvais passage ! (rires)
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Je m’excuse d’avoir posé cette question !
Quand tu vis un mauvais passage, c’est de ta faute. Effectivement, je suis moins loquace et moins heureux après. Mais demain est un autre jour. Tu peux te planter, et dans l’absolu personne ne t’en tient rigueur. Tout le monde a déjà connu un bide, donc… On se raconte bien plus facilement ses bides que ses cartons. Ce sont des histoires plus drôles à raconter. Raconte un bide aux autres humoristes, tu verras : les gens sont morts de rire ! Quand tu racontes un carton, ils s’en fichent.
Revenons à l’objectif de l’heure. Comment vois-tu les prochaines étapes ?
Je jouerai une demi-heure à la rentrée avec des copains. L’heure, c’est solitaire. Cela me stressait un peu : j’aime tellement aller en plateau. Et puis j’ai assuré des premières parties d’humoristes pour qui l’exercice de l’heure semblait difficile. C’est beaucoup de pression. Je voulais avoir de la bouteille, j’avais peur de faire l’heure trop tôt… Mais si tu demandes à Maxime Stockner ou Avril, ils te disent : « tu t’y mets, t’es pris et c’est parti ».
Et puis ce n’est pas parce que tu fais une heure que tu vas arrêter les plateaux. Dans le stand-up, il faut aussi se dire que ce n’est jamais parfait au début. Le faire, c’est avancer. Pierre Thevenoux, lui, décrit ça comme un produit à vendre. Tu as une heure sur scène pour montrer ton personnage et te faire aimer du public. Il disait : « c’est le grand mystère de l’humour ».
Mon autre objectif, c’est de jouer en-dehors de Paris. J’ai hâte de rejouer à Nantes !
Quand je travaillais à côté, j’avais parfois dû décliner mais aujourd’hui, je suis libre ! Tu peux prendre des trains pour pas cher, tu vas te faire des heures de bus ou de covoiturage serré à 5. Pour le coup, il faut vraiment se préparer : c’est dommage de faire 2-3 heures de trajet pour ensuite bider et revenir. C’est une autre exigence, et c’est une manière de se confronter à d’autres publics.
Et enfin, sortir des podcasts plus souvent ! Comme ça, ceux qui liront l’interview auront de quoi me découvrir…
Oui, parce que se faire connaître du grand public, c’est une autre histoire. Un problème auquel se confontre 95 % de la scène humoristique actuelle.
Honnêtement, aucun stand-upper n’est connu. Haroun, peut-être, ou bien Fary. La renommée est extrêmement minime. Je considère que t’es connu si ma mère te connaît. Et ma mère ne connaît pas le stand-up, elle connaît Laurent Gerra ! Et aussi les gens qui passent à la radio, comme Canteloup… Mon grand frère, qui regarde plus ce qui se fait sur le web, connaît Seb Mellia par contre. Il en a entendu parler sur Facebook.
Tu cites des artistes très variés. Comment ces inspirations diverses te nourrissent ?
Au départ, comme je l’ai dit, j’étais fan de stand-up américain. Chaque nouvelle découverte devenait plus intéressante que la précédente et la remplace dans ta tête. Tu comprends alors les procédés comiques. Par exemple, Jerrod Carmichael a une heure, 8, très lente. Je l’ai trouvée magnifique. Et là, il faut se dire : c’est ce qui marche pour lui. Lorsque tu comprends que ça prend du temps de trouver ce qui marche pour toi, tu peux avancer. Quand ça marche c’est souvent parce que c’est un alignement entre qui tu es, ce que tu dégages et les bonnes blagues qui vont avec. Et ce changement d’attitude te met sur des bons rails. Et là, plus rien ne t’arrête. On le voit dans Soixante avec Djimo. À sa façon de respirer dans le micro, sa démarche… Les gens ont compris en 5 secondes qui il était, et ça rit ! C’est incroyable.
Je ne peux pas ne pas citer Rory Scovel, qui est mon comédien américain préféré. Il apporte énormément de créativité dans le stand-up et repousse beaucoup les limites du format du stand-up. C’est une vraie inspiration.
Je pense aussi à Gary Gulman. C’est un excellent stand-upper américain. Chaque jour depuis le début de l’année, il poste un conseil sur Twitter. C’est un excellent moyen de comprendre comment travaille un stand-upper professionnel.
Et à Paris ?
Dans ceux qui m’inspiraient au début à Paris, il y avait aussi Rémi Boyes, Louis Dubourg… J’étais très fan de toute la clique — je ne sais pas si c’était une clique, d’ailleurs. Il y avait aussi Fred Cham, Joseph Roussin, Nathan Bensoussan et Betty Durieux. Il y avait ce truc où je me disais : ça a l’air trop cool, ils sont entre eux, et ils ont l’air de bien se marrer ! Je voulais avoir ma clique, mes potes.
Parmi mes influences actuelles, il y a aussi Adrien Montowski. Je l’ai vu un soir au Street Art [une ancienne scène underground du quartier de Bastille, Ndlr.]. Tout le monde bidait sauf lui. Quand tu vois ça, tu te dis : « Lui, je vais le suivre ! ». J’ai ensuite fait ses premières parties, et à chaque fois, je regardais son spectacle. On n’est pas obligé de rester après avoir joué, mais j’y tenais. Je voulais comprendre comment il réalise ses act out. Les act out, c’est incarner un personnage pour expliquer une blague et en sortir. C’est le maître en la matière. Comprendre ça m’a aidé à progresser.
En écoutant ça, on a l’impression que tu es un nerd de l’humour !
J’adore le stand-up. Mais au final, ce n’est pas indispensable. Il y a des stand-uppeurs qui sont très cultivés et d’autres moins, ou en tout cas pas sur les mêmes sujets.
C’est ça qui est cool dans le stand-up : c’est accessible à tout le monde.
Ce qui fait la différence, c’est de rester, tenir…
Et s’améliorer ! Tu peux rester, tenir et stagner ; là, c’est déprimant. Il faut se demander quel est le prochain niveau, quand il faut le franchir et qui peut m’aider à y parvenir !
Passons maintenant aux questions plus légères… avec un dilemme ! Omar [DBB] ou Manu [Bibard] ?
(Rires)
Impossible de choisir ! Ce sont les deux têtes de cet enfant que j’abandonne. Ce sont les deux faces d’une pièce d’un centime que j’ai laissé tomber dans le caniveau. Et ce sont les deux sucres de ce café que je fais tomber dans l’évier.
Ce sont tes deux jambes, en résumé.
Pour livrer quelques détails, avec Manu, on se parle tous les jours depuis un an. On a commencé par un exercice : un soir, je l’ai aidé sur un texte du Laugh Steady Crew.
« Ah bah tiens, tu finis par ça ; fais-en une règle de 3. » Il m’avait dit que ça avait bien marché. À partir de là, c’était banco ! On ne s’aide pas forcément sur les textes, on se demande ce sur quoi on écrit chaque jour. À partir de là, on essaie de sortir le plus de vannes possibles sur le thème donné. On en a sorti un sketch, « Les horoscopes ». Il marche pour l’instant à chaque fois. On s’est dit que ceux qui progressent sont ceux qui écrivent tous les jours.
C’est aussi une manière de se motiver, de créer une émulation…
Oui, et maintenant qu’on a tous les deux lâché nos boulots, on essaie de se motiver à travailler davantage ! Je ne crois pas vraiment au talent seul. Il faut beaucoup de remise en question et du travail. Si tu réécoutes ton texte et que tu constates qu’une blague ne fonctionne pas, laisse-la de côté. En disant cela, je sais que je n’applique pas assez cette règle. Produire un texte excellent pour la scène, c’est enlever tout le gras. Et j’en suis encore loin…
Le débrief
Cyril Hives m’impressionne : il est capable de décrire très finement la scène humoristique actuelle. Il a aussi une vision claire de son niveau et des étapes qui l’attendent. En une demi-heure d’entretien, j’avais l’impression de vivre un road trip version plateaux d’humour. Je me projetais dans les soirées passées, et je m’identifiais dans sa découverte du stand-up français. Intervenue au même moment, cette initiation nous a tous deux amenés sur le chemin des blagues. Je ne sais pas lui, mais moi, je ne reviendrai en arrière pour rien au monde !
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