Interview Mickaël Bièche : sa vision de l’humour entre 4 montagnes
Entre une bière et un chocolat chaud, Mickaël Bièche, humoriste, nous raconte l’humour à Grenoble. Là où il n’y avait rien et où il a tout construit avec les membres du Grenoble Comedy Show. C’est l’histoire d’une grande famille au cœur des montagnes. — Par Antoine Richard
L’interview de Mickaël Bièche
C’est quoi l’humour grenoblois ?
L’humour grenoblois c’est Serge Papagalli. Un humour populaire, familier et avec un fort accent, mais qui appartient à une certaine génération. L’humour qui naît actuellement à Grenoble est écolo. C’est un humour de montagne. Il aborde des thèmes comme le ski, la politique et les violences urbaines. On dit souvent que Grenoble c’est le « Chicago français ».
Est-ce qu’en étant humoriste à Grenoble, on est enfermés entre 4 montagnes (la ville est entourée de 4 vallées : Belledonne, la Chartreuse, le Vercors, et l’Oisans) ?
Physiquement et mentalement oui. Dans cette ville, on est chez nous, on se sent chauvins. Cette barrière naturelle c’est une protection, mais en même temps il faut être capable de la dépasser. Si tu n’écartes pas une ou deux montagnes, tu restes avec les mêmes personnes.
Est-ce que tu te sens important pour Grenoble ?
Mon ego te dira qu’il veut plus, mais en même temps quand je parle du Grenoble Comedy Show je dis nous et pas je. Je me mets en retrait car je veux qu’on ait une identité collective. Ça représente une charge de travail. Je suis un peu comme une locomotive. On a tout créé à Grenoble. Après, je n’ai pas de poids politique car à Grenoble l’humour est un sujet sensible.
Pourquoi ?
Il y a un manque de soutien de la ville. La politique culturelle de Grenoble est très élitiste et tournée vers le théâtre ou la danse avec la MC2 (Maison de la Culture). Il y a un vrai problème de relais politique et médiatique. Mais, je suis content car on a réussi à créer un public autour de nous. On était 60 dans la salle l’autre soir et certains viennent même avec le t-shirt du Grenoble Comedy Show (rires).
Comment s’est créé le Grenoble Comedy Show ?
Quand je suis revenu sur Grenoble, j’ai essayé de jouer seul mais c’était impossible car il n’y a pas de place même pour une première partie et il n’y avait pas de café-théâtre. Et, un jour, j’ai fait la rencontre de l’association Le Graal.
Ils m’ont dit de monter un projet. J’ai été cherché des gens dans des magasins de bijoux et dans des matchs de basket, et c’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec une équipe. Pendant deux ans, deux vendredis par mois, on se retrouvait dans des ateliers du rire pour créer une alchimie entre nous. On remplissait des salles de 25-30 places avec zéro moyen. Puis, un jour ça nous a dépassé et il a fallu changer de cadre. De là est né le Grenoble Comedy Show.
Et maintenant, que proposes-tu dans les ateliers que tu coordonnes ?
Je n’aime pas dire que je propose des ateliers, mais plutôt des « répétitions pour artistes volontaires et motivés ». On y apprend la grammaire de l’humour (énumération, personnification, contexte, techniques de théâtre).
Mais aussi comment maîtriser son stress ? Comment faire quand une salle ne rit pas ? L’objectif, c’est qu’à la fin, ils aient tous un sketch de 10 minutes. C’est un format de plus en plus adopté en festival car il y a de plus en plus de gens avec l’explosion du stand-up. C’est comme pour le journalisme, aujourd’hui il faut que ça aille vite.
En discutant avec des amis, j’ai eu l’impression qu’on est positif parce qu’on a vécu des traumatismes durant l’enfance. Est-ce que c’est pareil en humour ?
Je n’ai jamais connu un artiste sans traumatisme. C’est parce que tu as un problème durant l’enfance que tu t’es créé des armes et que tu as ce besoin d’expression. Blanche Gardin dit : « si je vais voir mon thérapeute, je perds mon humour ». Pour moi, c’est tout l’inverse. Ça m’a ouvert le champ des possibles.
Dans tes projets, on a l’impression que le collectif a toujours eu une importance pour toi et que tu t’es toujours battu pour construire un groupe soudé dans tes ateliers ou festivals.
Tu touches un point sensible. Le gros défaut de l’humour et du stand-up, c’est la solitude et l’ego. Tu es seul sur scène, tu peux vite péter les plombs.
Dans une troupe, tu as un guide et des comédiens qui t’entourent. Au théâtre, c’est de la compétition bienveillante alors que dans le stand-up, c’est à celui qui aura les plus grandes dents.
Personnellement, ma carrière a grimpé quand j’ai eu un metteur en scène et ma femme pour m’épauler. L’effet de troupe m’apporte une stabilité mentale et psychologique. Seul, je pense que je me serais fait du mal. Tu ne peux pas être juge de ce que tu écris, c’est impossible.
Sur ton site officiel, il y a une phrase en sous-titre : « Le rire est source de bien-être ». Tu peux m’en parler ?
Cela vient d’une pub d’Evian qui dit l’eau est source de bien-être. Il y a une vraie sensation de bonheur avec le rire, un lâcher-prise.
Quand on choisit un spectacle, c’est d’abord pour rire à des choses que l’on adhère. On appelle ça l’effet miroir. La plus grande réussite pour un humoriste, c’est quand il te dit : « Tu m’as fais sortir de mon quotidien ». Le rire ne coûte pas cher, c’est juste un bug du cerveau. Puis ce qui est bien avec l’humour, c’est que tu peux maquiller les problèmes de société. Dans l’humour noir, tout peut passer si tu désamorces avant ou après.
Comme disait Pierre Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », mais surtout ça dépend de comment tu l’écris. Et je pense que le théâtre apporte cette écriture. Puis comme dirait Johnny si t’as pas une bonne entrée, tu foires le show.
Une anecdote pour conclure cet interview ?
Une de mes vannes préférées concerne la raclette. Avec ce plat, tu fais rire la France entière. Je raconte toujours cette histoire. Un jour, un pote m’invite pour une raclette et me dit j’ai acheté du Kiri, du Babybel, etc. Et, je lui dis mais tu sais qu’il y a un fromage spécifique pour la raclette ? Du coup j’ai fais une fondue de Babybel et ça a mis une heure à fondre (rires).
Interview Mickaël Bièche – Le débrief
L’humour à Grenoble évolue loin de la frénésie de la capitale. Sans se prendre au sérieux, il a pour seule prétention de faire rire le public local.
Mickaël Bièche fait partie de ceux qui font bouger les choses. Si les styles n’évoluent pas à la même vitesse qu’ailleurs, il y a bien une scène là-bas et elle veut décidément se faire entendre. On lui souhaite le meilleur pour la suite !
La suite, d’ailleurs, ça se passe chaque premier mercredi du mois à la Basse Cour. Retrouvez toutes les infos sur le Mapstr du spot du rire qui répertorie les plateaux de France !
Crédits photo
Mickaël Bièche au Café Lumière à Grenoble © Antoine Richard