Interview des Ouais Ouais Ouais : « On est proches car on est nés ensemble sur scène »
Les duos comiques font l’histoire du rire depuis des décennies. Aujourd’hui, si vous aimez les machines à laver, vous allez voir les Décaféinés. Si vous aimez le seum, vous adorerez les Ouais Ouais Ouais.
Pourtant, je n’aime pas le mot « seum », et je n’ai vraiment pas l’impression d’avoir eu des mecs en colère en face de moi. Pierre DuDza et Avril, ce sont deux gars qui aiment faire rire les gens avec leurs styles respectifs. Le Laugh Steady Crew a bâti leur roman d’amitié sur des fondations indestructibles.
En septembre 2019, ils rempilent avec une deuxième saison et se préparent à proposer leur première heure au public. On a décidé de vous les présenter en deux temps : d’abord ensemble. Ensuite, on fera comme pour Éric et Ramzy dans Vis ma vie : on les isolera l’un de l’autre, pour les pousser dans leurs derniers retranchements. Mais pour l’heure, écrivons la première page de leur histoire scénique ensemble.
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L’interview des Ouais Ouais Ouais
Pouvez-vous vous présenter l’un l’autre, mais sans clash ?
Avril : Pierre, c’est tout ce à quoi il ne ressemble pas. C’est l’inverse de l’impression que tu peux avoir de lui. Un nounours, un mec tout gentil. Il compense cette gentillesse par des blagues osées et pas politiquement correctes pour faire genre qu’il est dur alors que c’est un petit cœur fondant. (part en envolée lyrique) Il faut savoir d’où il vient… Pierre, c’est un gars des Ulis ! Seul blanc dans un quartier sensible, etc., il a dû s’imposer. Il a aussi dû mettre de côté sa bienveillance naturelle, sa gentillesse pour vivre, resplendir dans cet environnement compliqué. Aujourd’hui, il est là, et il montre à la Terre qu’il n’est pas que cette petite boule de…
Pierre : Ça va trop loin, là !
Avril : …Qu’il y a aussi une méchanceté qui veut s’exprimer. Mais il n’y arrive pas vu que même sa méchanceté est bienveillante et pleine de second degré ! J’adore Pierre.
Pierre : Je pense qu’Avril s’est présenté, en fait ! C’est assez incroyable. Il a parlé de moi, mais il a mis tellement de lui que le mec a fait sa présentation.
Avril : Pas du tout !
Pierre : Mais si. Avril, c’est quelqu’un qui aime beaucoup s’exprimer. Il a écrit ma bio, quand on a fait des 30-30 il a écrit la description du spectacle… Tout ce qui est en dehors de mes sets, c’est lui. Et il m’a aussi donné quelques bonnes vannes.
Avril : Toi aussi. Moins, mais…
Pierre : Je vais quand même le présenter. Avril, c’est un gros talent d’écriture, un très bon stand-upper. L’alchimie parfaite entre écriture et jeu. Et je le pense. On s’est tellement clashé…
Avril : J’ai envie d’être gentil, dans la bienveillance.
Pierre : On est devenu des mecs bienveillants.
Je trouve votre association ultra-harmonieuse et pourtant assez improbable. Vous en pensez quoi ?
Pierre : On est d’accord. C’était d’ailleurs ce que tu avais écrit pour nos premiers 30-30.
Avril : Sur le fond, les valeurs, on est d’accord sur énormément de choses. En revanche, nos goûts, opinions et idées sont très différents. Éducation diamétralement opposée, physique diamétralement opposé, talent diamétralement opposé… On s’oppose sur vraiment tout. (Rire de traître désinvolte quasi-inaudible)
Tout le monde pense qu’on est “Good Cop, Bad Cop”, mais pas dans le bon sens.
Pierre : Tout le monde pense que c’est moi le méchant et toi le gentil, alors que c’est l’inverse.
Avril : Tous les qualités et défauts qu’on prête à Pierre, c’est moi qui les ai, et inversement.
Pierre : Mais les gens commencent à s’en apercevoir ! C’est drôle de voir ça.
Qui se fait insulter ?
Avril : Insulter avec humour : Pierre. Insulter avec un fond sérieux : moi ! (Rires)
Pierre : C’est tellement ça !
Sans le stand-up, jamais vous ne vous seriez croisé. Avril a même déclaré qu’il avait peur de Pierre. Mais Pierre, qu’as-tu fait à cet ardéchois sans défense ?
Pierre : À première vue, je pense que je fais un peu peur. J’ai parfois une manière de parler où tu peux croire que je te mets des coups de pression alors que je suis super gentil.
Avril : Il faut recontextualiser, aussi. J’arrive à l’open mic, c’est ma quatrième scène. J’ai vécu à Odéon, dans un environnement CSP++, je me ramène et je vois un mec baraqué, chauve et avec une barbe. Il est avec ses quinze potes de banlieue, casquettes vissées. Ils crient « Ouais ouais ouais » à chaque blague. C’est normal que je me chie dessus.
Pierre : Pour l’applaudimètre, l’un de mes potes a carrément enlevé ses chaussures et il frappait le sol avec pour que je gagne ! L’ambiance était ghetto de ouf ce soir-là.
Avril : Tout a changé à l’applaudimètre : Pierre se tourne vers moi, je me dis : « il va me dire “nique ta mère” ou “je vais te défoncer” ». En fait, il me dit : « super ton passage, j’ai adoré, si ça ne tenait qu’à moi, je te ferais gagner ! ». Ce que les gens comprennent en un mois sur Pierre, je l’ai compris en dix secondes.
Ce qui fait qu’on est proches, c’est qu’on est « nés » ensemble. C’était la deuxième scène de Pierre en stand-up, moi la quatrième. On gagne l’open mic ex-æquo, on rentre dans la troupe en même temps. On a grandi ensemble sur plein de sujets.
Pierre : S’intégrer à la troupe du LSC n’était pas aussi facile que ça. Les autres étaient là depuis un moment, ça nous a forcé à nous serrer les coudes.
Avril : Au final, on est devenu plus ou moins potes avec tout le monde. Il faut dire que je faisais beaucoup de zèle, aussi. J’étais le bon élève qui avait envie de plaire au metteur en scène. Je voulais être à la hauteur, j’envoyais mes textes dans les délais…
Pierre : Moi, je connaissais Thierno avant. J’ai mis du temps à me sentir légitime dans la troupe. Il a fallu attendre que je cartonne 3 ou 4 fois pour ça. Quand j’avais des textes moins bons, je n’étais pas sélectionné. J’ai aussi mis du temps avant de passer dernier [l’ordre de passage récompense le meilleur texte, Ndlr.].
C’est quoi, le secret longévité de votre « duo » qui n’en est pas un ?
Avril : Si, ça en est un !
Mais pas un duo sur scène !
Avril : Alors là…
Pierre : On l’a fait pas mal de fois !
Avril : On pense faire un spectacle à deux.
Mais vous n’êtes pas Omar et Fred, par exemple.
Avril : Omar et Manu, tu veux dire ?
Pierre : Au final, on fait plein de trucs ensemble. Le podcast Les Ouais Ouais Ouais, le plateau d’humour à Vanves. Pendant notre 30-30, il y avait vraiment des moments sur scène où on était ensemble et on faisait des sets ensemble.
La question de base, c’était de connaître le secret longévité de votre « duo ».
Pierre : On est très complémentaires. Nos tempéraments sont très compatibles. Quand Avril a des excès de seum, ça me fait marrer ! Tout ce qu’il pourrait faire qui peut agacer des gens, ça me fait taper des barres.
Avril : Je pense aussi que la différence d’âge joue aussi.
Pierre : Tu crois ?
Avril : J’ai tendance à plutôt m’entendre avec les personnes âgées…
Pierre : Mais pourtant j’ai l’impression d’être plus jeune que toi !
Avril : Ah, c’est marrant…
Pierre : Dans mon tempérament, dans la manière dont je vis les choses, j’ai l’impression d’être largement plus jeune que toi, mec !
Avril : Alors que tu as une fille… Que tu es divorcé, que tu as vécu tellement plus de choses que moi !
C’est la sagesse ?
Avril : Pierre est, de très loin, le plus mature des deux.
Pierre : Ça, c’est clair. Mais dans nos discussions, j’ai vraiment l’impression d’être plus jeune.
Avril : Ça, c’est parce que je suis brillant ! C’est complètement différent, ça n’a rien à voir avec l’âge.
Pierre : Mec, j’essaie de répondre sérieusement là. Avril peut avoir des réflexions de vieux, des fois. Des références de vieux, aussi. Le gars va faire son spectacle et parler de Michel Delpech ! Je savais même pas qui c’était !
Avril : Si vous aimez Michel Delpech, venez, et si vous ne l’aimez pas, venez encore plus !
Pierre : Je crois juste qu’il a des goûts de chiotte. Je suis sûr, son film préféré, c’est Les visiteurs !
Avril : C’est incroyable, ce film !
Pierre : On est d’accord que c’est un bon gros film de merde. (Rires) Le mec connaît les dialogues, en plus.
Quelle est la pire qualité et le meilleur défaut de l’autre ?
Pierre : J’ai du mal à comprendre ta question…
Avril : Tu as fait un nœud dans la tête de Pierre. Il est en train de faire un AVC ! T’inquiète, je suis là. Le meilleur défaut de Pierre, ce sont ses oublis. Il oublie tout. Ça a l’air dur à vivre, mais de l’extérieur, ça me fait marrer.
Pire qualité… L’humilité. Je trouve que Pierre est humble, parfois un peu trop. Il monte sur scène avec un super texte, tout est trop bien. Et il dit : « Ouais, mais non, les autres sont quand même bien… ». L’humilité, c’est bien, mais parfois il faut savoir aussi sortir un peu d’arrogance de ta tête. Si tu enlèves un peu d’humilité à Pierre, il retournerait cinq fois plus souvent les salles !
Pierre : Pour le coup, ça va être ton meilleur défaut. Ce n’est pas de l’arrogance, mais Avril a ce truc que je n’ai pas. Ce côté « winner ».
Avril : C’est la phrase la plus triste que tu aies dite de ta vie. (Fou rire)
Pierre : Quand Avril monte sur scène, il y va en mode tueur. C’est pour déglinguer tout le plateau, pas simplement pour participer. Moi, j’y vais, et même si je cartonne, je repars de scène en étant content d’être là, mais je m’arrache ensuite. Ça m’empêche souvent de marcher, ce détachement. Avril, lui, a cette qualité de dingue, qui l’aide à cartonner. Même quand on joue à FIFA, il est compétiteur. Je ne peux pas m’amuser face à lui, parce que j’ai envie de le battre.
Avril : Je t’ai mis 7-0 !
[On compatit ! Un jour chez Manu Bibard, Avril nous a mis 6-2.]
Pierre : Voilà, tu vois ! Sur scène, ça m’ajoute de la pression, je suis obligé d’y aller dans un autre état d’esprit.
Avril : Je suis désolé d’apprendre que je te fais cet effet-là…
Pierre : Non, mais je te dis ça tranquille, tu me connais. Au final, c’est bien car Avril me tire vers le haut.
La pire qualité d’Avril… C’est son sens du réseau. Ça lui ouvre les portes de plein de plateaux, il arrive à vite s’intégrer dans des groupes. Il va sur des plateaux quand il n’est pas programmé, ça ne m’arrive jamais… Parfois, c’est agaçant : on est ensemble, et à un moment, il se lève pour aller parler à quelqu’un. Je le regarde, je comprends qu’il fait son truc, et je passe à autre chose !
Avril : Je ne me rends pas du tout compte de ça !
C’est l’heure de poser une question à l’autre.
Avril : J’en ai une ! Penses-tu réussir dans le stand-up ? Je veux ton avis honnête : au fond de toi, tu y crois ? Ça va te forcer à te sortir de ton humilité, et répondre sincèrement.
Pierre : Encore une fois, je ne vais pas parler de moi. Sincèrement, je pense que tout le monde peut réussir dans le stand-up. Il y a des mecs qui ne sont pas les plus drôles, mais qui sont au bon endroit et au bon moment. Ils ont un bon réseau au bon moment. Bien sûr, ils bossent dur, il faut le reconnaître. Tu ne peux pas réussir sans travailler, quoi qu’il arrive. Mais demain, avec une vidéo qui fait 10 millions de vues sur Instagram, ça ouvre des portes plus vite.
Avril : Tu crois en ta capacité à proposer des choses qui plaisent au public ?
Pierre : Oui. Je ne sais pas si je peux percer, ou quel niveau je vais atteindre. En revanche, je pense et j’espère que je peux vivre du stand-up un jour. Ça va être dur, mais j’y crois.
C’est un moteur, ce genre de croyance, d’ailleurs.
Pierre : Je pense ce que je viens de dire, mais dans le milieu du stand-up, je ne me sens pas encore légitime. J’ai le syndrome de l’imposteur : quand je plie une salle en deux, j’ai l’impression que c’est un coup de chance.
Ma question à Avril… As-tu envie de percer dans le stand-up ?
Avril : Deux réponses. Premièrement, à l’instant T j’ai envie de percer, mais pas dans le stand-up. Je veux percer dans le seul-en-scène. Je n’ai pas été biberonné au Jamel Comedy Club, je n’ai pas cette mythologie du micro. J’adore les [Guillaume] Gallienne, les [François] Rollin, les [Alexandre] Astier… J’aimerais avoir une notoriété pour pouvoir me produire autant que je veux dans de belles salles, mais pas forcément en stand-up.
Deuxièmement, mes objectifs de vie sont très changeants.
Pierre : Quand je t’ai rencontré à l’Open Mic, tu ne voulais même pas faire du stand-up ! Il voulait écrire, et se servir du stand-up pour écrire. Tu t’en moquais du stand-up.
Avril : En un an, ça a beaucoup changé. Pendant longtemps, j’avais envie de transmettre quelque chose et j’ai peiné à trouver le moyen de le faire. En ce moment, le stand-up m’aide à le faire. Je profite donc à fond et je m’implique complètement dans ce format aujourd’hui. Tant que ça dure, je vais bosser comme un dingue pour y arriver. Mais si demain, je découvre un autre moyen qui me correspond mieux, ça ne me dérange pas d’arrêter le stand-up. Si je me découvre un talent de romancier, bye bye la scène, bonjour le chalet.
Pierre : J’aimerais tellement percer dans le stand-up pour en faire moins. Mon rêve, c’est d’avoir un spectacle trois fois par semaine, comme Alexis le Rossignol, et de ne plus jouer en plateau. Je ne suis pas comme un Cyril Hives, qui adore cette ambiance-là : plateaux, boire des verres, etc.
Si je pouvais avoir ce spectacle régulier, rentrer chez moi, voir ma fille et jouer aux jeux vidéos, lire mes mangas et ne pas connaître les gens du stand-up… Je serais trop content !
Tu n’es pas fan du réseautage, clairement.
Avril : C’est aussi l’une de tes qualités. J’aimerais bien être comme ça, mais je sens que j’ai besoin de la reconnaissance de mes pairs. Toi, tu n’as pas ce besoin, et c’est une super qualité à mon sens. Au final, c’est ça, ta pire qualité ! Parce qu’en contrepartie, ne pas se mettre en avant et parler aux gens, ça réduit ses chances de faire des plateaux. Hier, il a retourné, mais a-t-il capitalisé là-dessus pour avoir de nouvelles dates ?
Pierre : Justement, oui ! Depuis le début de l’année, j’ai débloqué quelque chose. Je marche assez bien, et j’ai beaucoup plus d’invitations. L’an dernier, je ne calculais personne et j’avais peut-être l’air antipathique, aussi.
Quelles sont vos actus communes ?
Pierre : Le mardi, on sort le podcast Les Ouais Ouais Ouais.
On joue aussi au Laugh Steady Crew tous les mercredis. Le plateau à Vanves reprend le 4 octobre, il aura lieu une fois par mois, normalement en début de mois. Et puis il y a le spectacle d’Avril — je tiens à faire ta promo, mec.
J’ai déjà vu les dix premières minutes du spectacle à l’italienne, et je peux vous l’affirmer : c’est le meilleur spectacle de l’année. Imagine quand il y aura les 50 prochaines minutes ! Mec, c’est la vérité. Ça va être incroyable, les gens ne sont pas prêts.
C’est vrai que nous aussi, on a des attentes assez élevées sur ce spectacle.
Avril : Vous allez être déçus, les gars. Le spectacle, je le jouerai tous les samedis à 21h30 à la Petite Loge. Restez aussi attentif à celui de Pierre, parce qu’il va être de très, très haut niveau.
Pierre : J’espère le proposer en janvier, je bosse à fond dessus.
Avril : Je travaille aussi sur un autre podcast, mais je vous réserve la surprise. J’ai aussi mon blog, Carnets d’Avril et notamment la section « Journal de bord de scène ». J’ai aussi envie de jouer en plateau le plus souvent possible pour progresser. Plus je joue, plus je progresse. J’ai l’impression d’avoir encore une bonne marge de progression et j’ai envie de voir jusqu’où je peux aller.
Pierre : Sur les plateaux, j’ai débloqué pas mal de choses grâce à Khalil [Naïme]. Il m’a invité tellement souvent au Bootleg Bar Comedy Club, même à mes débuts où je n’avais quasiment pas de scène. Ça m’a beaucoup aidé à progresser. C’est un mec en or.
Merci à vous deux…
Avril : On a un mot de la fin, quand même ? Allez. Je le laisse à Pierre.
Pierre : Il adore faire des trucs comme ça, pendant le podcast. Ça me met dans des situations… D’ailleurs, c’est ton rôle, les mots de la fin.
Avril : Merci beaucoup Juliette pour cette interview, on était très content. J’étais très content d’ailleurs de la faire avec mon Pierrot.
Pierre : Toujours content de partager des trucs avec Avril. J’espère qu’on va encore faire plein de projets à deux. J’aimerais vraiment qu’on puisse faire une heure ensemble.
Interview des Ouais Ouais Ouais – Le débrief
Je n’avais pas anticipé autant d’alchimie entre ces deux-là. Avril et Pierre DuDza se clashent sur scène comme dans la vie, parce qu’ils se portent aussi vers des sommets et se connaissent par cœur.
Cette émulation n’a rien d’artificiel. Elle les mène, chaque semaine au Laugh Steady Crew, à produire des textes qui leur ressemblent. Thierno Thioune, metteur en scène de cette troupe désormais culte, a décidément l’œil pour dénicher des talents. Vous ne les connaissez pas encore ? On espère vous avoir donné envie de les découvrir, parce qu’à l’instant T, on ne s’en lasse pas.