Interview Pierre Metzger : « Je ne ressens pas le besoin de plaire aux humoristes »
Originaire des Ulis comme son comparse Avril le rappelle (trop ?) souvent, Pierre Metzger est devenu humoriste par un concours de circonstances. Contrairement aux jeunes loups du stand-up, il mise sur son vécu pour proposer un humour atypique et redoutable dans ses meilleurs jours.
Comment a-t-il imposé son univers scénique au Laugh Steady Crew, puis au public du stand-up ? Pourquoi son parcours et son travail font-il de lui un humoriste à suivre ? Et pourquoi son esprit libre nous a-t-il littéralement conquis ?
Lisez cette interview, et vous saurez tout, voire plus encore, sur la moitié du duo les Ouais Ouais Ouais. Vous aimez bien l’autre partie du duo ? Découvrez-la également en interview !
L’interview de Pierre Metzger
Comment en es-tu arrivé à l’humour ?
J’ai découvert l’humour avec Canal+ et Les Nuls. Le premier mec que j’ai découvert, c’était Bruno Carette. Ça a été une grosse claque.
Le stand-up, j’adore en faire mais ce n’est pas forcément quelque chose que j’ai envie de regarder. Le plus pété des épisodes de South Park me fera toujours plus rire que le meilleur des spectacles de stand-up.
Et comment as-tu commencé ?
J’ai commencé à faire de l’humour par accident. Une amie m’a invitée au plateau du Laugh Steady Crew. À ce moment-là, je ne suis pas au top : je viens de divorcer. Cette amie me dit : « Tu te rappelles ton pote Thierno des Ulis ? Il a monté une troupe… », et on y est allé. C’était cool ! Ce jour-là, Jason Brokerss était l’invité. Je passe une bonne soirée, et à la fin, je parle avec Thierno. Il me dit : « Mec, t’étais trop marrant au lycée ! » À l’époque, j’étais le mec qui faisait tout le temps des blagues. Je rappais, aussi. Thierno avait eu des cassettes de moi, et il savait comment j’écrivais. Il aimait bien ce que je faisais à ce niveau-là.
Il m’a encouragé à proposer un set et de voir ce que ça donne. À ce moment-là, je laisse ça de côté. Mais quelques semaines plus tard, j’apprends que ma pote m’a inscrit à un open mic sans me le dire. Je n’avais rien préparé, je suis dos au mur. J’écris un truc, et je monte sur scène. Ce soir-là, ça se passe super bien. Pourtant, c’était un set pourri : si tu le voyais aujourd’hui, tu trouverais ça flippant !
Ensuite, je fais une deuxième au Paname en écrivant un autre truc. Je me filme et j’envoie la vidéo à Thierno pour passer à l’open mic. Il aime bien, je fais et je gagne l’open mic. Grâce à ça, j’intègre la troupe du Laugh Steady Crew !
Qui fait rire Pierre Metzger ? Sur les plateaux comme parmi les humoristes déjà médiatisés, tu peux dire qui tu veux.
Sur la scène actuelle, Ghislain Blique et Avril me font énormément rire. Je ne l’ai jamais vu jouer, mais de ce que j’en entends, je suis sûr qu’un Bobbin me plie en deux. Avril m’a raconté ses vannes, et simplement en les entendant, je les trouve géniales. Il m’a l’air très fort, et c’est un genre d’humour qui me parle énormément. Et il y a aussi Morgane Cadignan : j’ai adoré son spectacle, il m’a fait vraiment rire.
Tu penses, comme le Parisien, qu’elle est le miroir de sa génération ?
Elle est la voix d’une branche de sa génération. Mais je ne pense pas qu’elle se résume à des gens qui font du marketing et qui portent des Stan Smith. Ce n’est pas que ça, sa génération !
Parmi les plus cotés, je dirais Mustapha El Atrassi. Je trouve ce mec trop fort dans son clown, son écriture et ses interactions. J’admire son côté indépendant, le fait qu’il se coupe des médias, qu’il a sa prod et c’est tout. C’est trop fort pour moi.
Tu as envie d’être indépendant, j’imagine…
Tellement ! De monter une prod. Je ne parlerais qu’à des médias comme toi, des gens qui sont archi-spécialisés. Ça me semble plus difficile de faire de la promotion dans des médias mainstream.
J’aime aussi beaucoup la sœur de Ramzy, Melha Bedia. Tout ça, ce sont des gens qui me parlent. À part Morgane, qui correspond moins à mon style d’humour habituel. Mais c’est différent : je la connais, j’ai fait la démarche d’aller voir son spectacle. D’habitude, je ne fais pas cette démarche. Peut-être que si je le faisais plus, je découvrirais d’autres personnes !
Je vais bientôt aller voir le spectacle de Mahaut parce qu’elle est dans la troupe du Laugh Steady Crew et qu’elle me fait rire. À la base, je ne serais pas allé voir son spectacle. Ce serait trop bien de vivre le même phénomène que pour Morgane, que je me laisse surprendre par cet autre style et que je trouve ça trop bien.
Avant ça, tu avais une street cred aux Ulis ? Je suis aussi peu acclimatée au langage du rap qu’Avril, c’est une catastrophe, ça sonne faux dans ma bouche.
Ma street cred aux Ulis, c’est une légende ! (rires)
J’ai une street cred dans le stand-up (rires). Là-bas, je suis un mec comme tout le monde. Ma jeunesse aux Ulis, elle est la même que n’importe quel mec de banlieue. Je vis dans une cité, je ne vais jamais à Paris. Les meilleurs moments de ma vie, je les ai vécus là-bas. Je faisais partie d’une génération incroyable. Je jouais au foot avec Thierry Henry, Patrice Évra… J’ai connu Sinik, Diam’s… J’ai eu des potes qui sont devenus champions de basket.
Tiens, j’ai une anecdote d’ailleurs ! Je mangeais avec des potes, et ils avaient tous percé dans le sport ou la musique. Et la copine d’un de ces gars me dit : « Je ne comprends pas, Pierre : tu as fait du rap et du sport avec eux, qu’est-ce qui s’est passé ? »
C’est dur ! Tu as vu ta vie défiler…
J’ai pensé que j’avais eu des opportunités, mais que je n’avais rien fait. Ça m’a fait mal. Après ça, il se passe 8 ans où je ne fais rien de particulier. Je ne me souviens même pas de ce que j’ai fait entre mes 20 et mes 30 ans ! Je bossais vite fait, je sortais, j’allais dans des soirées.
En fait, tu as vécu !
Carrément. J’ai voyagé, j’ai fait un milliard de choses, mais je ne peux pas en dégager un truc précis.
Au LSC, tu as souvent des thèmes imposés. Quand tu es libre, qu’est-ce que tu as envie d’évoquer sur scène ?
Je parlerais plus souvent de thèmes d’actualité. Je ne les traiterais pas forcément, mais je m’en servirais pour partir dans de l’absurde. Par exemple, certains faits divers comme celui du mec qui fait une demande en mariage et qui se noie dont on parle dans le podcast.
C’est horrible comme fait divers. Si j’avais le temps, j’écrirais un set là-dessus !
Tu fais partie de la team des darons de l’humour. En un sens, tu as plus de vécu que les pré-ados qui domptent les open-mic et s’hydratent la peau chez Horace. Je ne sais pas où je vais avec cette question. Faut-il avoir cette expérience de vie pour être drôle ?
Avoir de l’expérience, c’est un réel avantage dans l’écriture et les thèmes que tu peux aborder. J’en parlais avec Louis Chappey : je le trouve trop fort. Lui, il me disait qu’il n’avait pas vécu assez de choses et que ça le bloquait dans l’écriture. Moi, les sujets sont infinis : j’ai commencé par parler de ma fille, de mon divorce. Aujourd’hui, je fais de l’absurde avec un set sur les imprimantes. Demain, je peux retourner sur autre chose encore. L’expérience, c’est une vraie source d’inspiration.
La vie fait que tu as plus d’expérience et moins peur du regard des autres. Tu te sens plus libre de faire ce que tu veux. Je ne ressens pas le besoin de plaire aux humoristes, par exemple. J’ai vécu assez de choses pour savoir qui je suis. Je n’ai pas grand-chose à me prouver.
Tu as juste envie d’être le meilleur possible…
Exactement. Être le meilleur possible par rapport à ce que je suis. J’ai envie d’être bon, mais je ne vois pas le stand-up comme une compétition. Je ne cherche pas à être le meilleur stand-upper.
Tu parlais de faire partie des darons. Je trouve ça marrant, parce que je fais aussi partie de la nouvelle génération ! J’ai l’âge des mecs qui commencent à percer, sauf que je viens de débuter ! Cela me met d’ailleurs une pression supplémentaire : je trouve que j’ai moins de temps pour percer à cause de ça.
Louis Chappey peut se dire qu’il arrête le stand-up pendant 5 ans. Dans 5 ans, il aura 27 ans. Moi, à 38 ans, il faut que je charbonne : je n’ai pas d’autre choix. Ce n’est pas vieux, mais je suis à l’âge où tout se joue assez vite. Je ne peux pas me permettre d’attendre 10 ans !
Tu n’es pas là à te dire qu’il faut 10 ans pour être bon, et suivre ce précepte religieusement.
Pas du tout ! Mon spectacle, je dois le proposer rapidement. J’ai du temps à rattraper, clairement.
Dans l’un de tes clashs, tu as déclaré te torcher le cul avec la bienveillance. Tu me fais penser à Bill Burr. En quoi est-ce important de ne pas s’autocensurer dans son humour ?
C’est juste important pour l’image que tu as de toi-même. Il ne faut pas te censurer si tu penses que tu es quelqu’un de bien et que tu dis des choses avec beaucoup de second degré. Parfois, je dis des choses assez dures sur scène, mais je pense être plus bienveillant que d’autres stand-uppers qui se prétendent bienveillants. Quand je dis : « je me torche le cul avec la bienveillance », je pense à ces personnes qui feignent la bienveillance mais qui jouent un rôle et ne le sont pas.
Par contre, parlons de ceux qui sortent des blagues non-bienveillantes, et qui le pensent vraiment. J’ai envie de leur dire : « Censure-toi, le but n’est pas de faire du mal aux gens non plus ! ».
D’ailleurs, le jour où j’ai sorti cette punchline sur la bienveillance, je me suis censuré.
Tu as eu envie de te faire plaisir à l’écrit, et puis tu as sorti ce que tu pouvais dans le contexte du podcast ?
En fait, Avril était avec moi. Et je ne voulais pas l’embarquer dans mon truc et lui fermer la porte de certains plateaux à cause de moi et ma punchline. Je pense à lui, et du coup je me censure.
Ton humour est très écrit, mais tu dois composer avec des trous de mémoire si on en croit ton set. Je me souviens d’à quel point c’était un cauchemar d’apprendre un texte. Comment t’en sors-tu, surtout que tu testes en permanence au LSC ?
J’ai beaucoup progressé pour mémoriser grâce au stand-up et au Laugh Steady Crew. En plus, j’apprends beaucoup moins mon texte par cœur : ça m’aide. J’ai les idées en tête, et je construis mon set sur scène.
J’ai compris que je ne pouvais pas faire comme Avril : tout écrire et répéter à l’italienne. J’écris tout, pourtant, au mot près. C’est simplement que j’oublie le texte, parfois !
C’est probablement cela qui me rend irrégulier sur scène. Le même set peut être complètement différent d’une soirée à l’autre. Je ne m’enregistre pas systématiquement, donc je perds parfois de bonnes idées si je cartonne un soir.
Ça te met vraiment en risque, finalement !
Carrément ! Le bon côté, c’est que ça m’a fait progresser ! Je dois travailler pour être plus constant. Pour l’heure, ce qui me sauve parfois, c’est un texte sur les trous de mémoire. Si jamais j’ai un trou de mémoire, je peux basculer sur ce set. Et ça passe, ça rigole, je sauve les meubles comme ça ! Ça me rassure, et ça me permet d’avoir moins de trous de mémoire.
En plus, grâce au Laugh Steady Crew, j’ai beaucoup de sets différents. Je peux facilement repartir sur un autre sujet ! Je me demande de quoi je me rappelle à ce moment-là, et je pars sur le sujet qui me revient. C’est pour ça que je ne pourrais pas avoir un seul set.
Se mettre en risque chaque semaine avec du neuf, ça doit être difficile. Comment gères-tu le stress avant de monter sur scène ? Et que se passe-t-il dans ta tête en sortant de scène, que tu aies cartonné ou bidé d’ailleurs ?
Avant la scène, c’est dur. Ça va mieux ces derniers temps. Il y a la boule au ventre.
Sur scène, ça va très vite. Dans les 30 premières secondes où je prends le micro, je sais d’emblée si mon passage va être bon ou non. Si j’ai des rires, le stress s’évacue et je sais que je vais plier la salle. À l’inverse, sans rire, je perds confiance en moi et je lâche mon texte comme si je lisais une liste de courses ! Ça empire, et c’est terminé.
C’est un peu la loterie. On ne peut jamais anticiper la portée de ces premières secondes ?
Dix minutes avant, je peux me dire que je ne vais pas y arriver et ne pas être confiant. Par contre, si à ma première vanne, tout le monde rit, je suis Bill Burr dans ma tête ! Je sais que je vais cartonner. Je commence à surmonter ces premières secondes si elles se passent mal, mais j’ai encore du travail.
Les gens ne le voient pas de prime abord, mais tu es l’archétype du bon pote. Tu es toujours prêt pour la déconne, tu es assez à l’écoute et dans l’empathie. Est-ce que tu aimerais que ta générosité/bonhomie naturelle transparaisse sur scène, ou ton air énervé sur scène est-il une carapace ?
Je vais faire une réponse à la Ghislain Blique : je m’en branle ! Tant que les gens savent qui je suis… Et tant que le public comprend que mes vannes hardcore ne reflètent pas le fond de ma pensée, le reste ne compte pas. Je n’ai pas envie d’être un mec gentil sur scène.
Tu peux jouer un rôle bienveillant ou clivant sur scène, mais les deux doivent avoir de l’autodérision. Sinon, je ne suis pas sûr de trouver ça drôle. Je me pose des questions : est-ce que ce mec est vraiment aussi gentil ou odieux ? Ça m’intéresse de savoir qui se cache derrière les vannes…
Question bonus : si Pierre Metzger devait clasher Le spot du rire…
Je te terminerais quand tu viendras dans le podcast des Ouais Ouais Ouais ! (rires)
Le rendez-vous est pris…
Interview Pierre Metzger – Le débrief
Pierre Metzger pourrait devenir un humoriste sous-côté. Si vous n’y prêtez pas trop attention, vous pensez rencontrer un être rustre. Ne faites pas cette erreur.
Donnez-vous la chance de rire aux blagues de Pierre Metzger sur les imprimantes et de kiffer son univers. Parce qu’il y a du vécu, un sens de l’effort et une générosité qui tranchent avec son apparente nonchalance. Pierre Metzger a tout d’un atypique, et ça tombe à pic dans cette époque où l’originalité est la bienvenue.
Vous avez aimé l’interview de Pierre Metzger autant que nous ? Vous allez adorer sa progression scénique. Quel que soit votre choix, nous serons là pour soutenir Pierre Metzger.