Interview Renaud de Vargas – « C’est important de trouver son propre style »
Mon interview avec Renaud de Vargas est le fruit du hasard. Le fruit d’une fausse manipulation en réponse à l’une de nos stories Instagram. Ni une, ni deux, je saisis l’occasion dans cette interaction involontaire. Nous n’avions jamais vraiment échangé. Je ne sais pas si la particule a joué, mais j’ai sorti le tapis rouge en le vouvoyant. Clairement, c’était inutile.
En revanche, il m’a vraiment semblé utile de mettre un coup de projecteur sur un talent un peu outsider. Je le connaissais peu malgré ses chroniques dans les Bras cassés et une carrière déjà longue… Allais-je découvrir un talent rare ? La suite vous le révèlera…
L’interview de Renaud de Vargas
Comment te présenterais-tu au public français ? Quel est ton parcours, depuis quand fais-tu de l’humour ?
Avant de commencer l’humour, je pratiquais le théâtre dans la troupe Expression 5/20+ avec Thomas Wiesel notamment. Thomas est un pote de longue date, on s’est rencontrés là-bas. Il y avait aussi Malvin Zoia, avec qui j’ai commencé l’humour en 2012, en duo.
En février 2017, Malvin et moi avons joué notre spectacle pour la dernière fois. On avait des divergences d’objectif de carrière : il ne se voyait plus trop faire de l’humour et jouer à droite à gauche, moi si. Avant de commencer en duo, j’ai toujours eu envie de faire de l’humour.
Se produire en duo, ça s’est fait comme ça, j’étais très content. Quand ça s’est arrêté, je me suis dit que ça serait du gâchis de tout arrêter là. Il fallait accepter cette séparation, et j’ai commencé en solo à partir de là. En parallèle, j’intégrais la radio Couleur 3.
Tu m’as dit que tu as découvert la scène suisse via Charles Nouveau. On fait partie de la même boîte de production, Jokers Comedy, comme bien d’autres humoristes locaux. Yoann Provenzano, Blaise Bersinger, Yacine Nemra, Thomas Wiesel, etc.
Ça fait pas mal de choses !
Oui, et depuis quelques années, c’est devenu assez stable.
Tu es donc produit par Jokers. Contrairement aux artistes émergents de France, cela semble plus simple de s’associer avec une production. Est-ce le cas ?
Je pense que oui : il y a moins de concurrence en Suisse. D’ailleurs, on ne parle même pas de concurrence ici. Il arrive qu’on ait moins d’affinités avec les personnes qu’on ne connaît pas. Mais j’ai l’impression que rien qu’à Paris, cette concurrence est plus marquée.
C’est plus familial en Suisse : on se connaissait tous avant même la création de Jokers. Je connais Thomas Wiesel depuis plus de 15 ans. Avec Charles, Marina Rollman, Yoann et Blaise, on s’est rencontrés sur des plateaux d’humour. C’est un bon moyen de s’échanger des conseils et bons plans pour s’améliorer ensemble. On ne se construit pas tout seul en plateau.
On échange sur nos vannes, on se voit régulièrement notamment avec Yoann. On a fait un 30-30 ensemble au Caustic Comedy Club à Carouge [près de Genève, Ndlr.]. C’est une ambiance saine et bienveillante.
Tu as déclaré dans une interview : « C’est important de développer son propre style en tant qu’humoriste. » Concrètement, comment as-tu fait ?
J’ai dit ça sans avoir réfléchi à mon propre style ! (rires)
C’est important de trouver son propre style, mais l’essentiel est de ne pas faire ce qui se fait déjà. Évidemment, les similitudes sont inévitables ! On est nombreux à tenter sa chance dans le métier, parfois on retrouve des éléments similaires dans la manière d’amener les blagues ou la gestuelle, par exemple.
Je ne me verrai pas faire comme Blaise, qui pourrait proposer des sketches sur, je ne sais pas… les chevaux qui mangent ! (rires) Il n’y a que lui pour traiter des sujets improbables de ce type ! Je ne pourrai pas faire un sketch de 5-10 minutes devant des dirigeants de banques comme Thomas. C’est son truc à lui ! Yoann, Charles, Alexandre Kominek ont aussi leur propre style.
J’ai développé certains mécanismes, notamment grâce à la radio. J’observe une situation, puis je joue le personnage de la situation. Ensuite, je crée un décalage et je dis : « Vous imaginez si on prenait un autre personnage pour cette situation ? ». On peut créer son propre style avec simplement un phrasé, des éléments de diction. Ça permet d’éviter les remarques telles que : « C’est marrant, il parle un peu comme lui »…
Tu tournes en dérision le ton des journalistes dans leurs reportages. C’est un angle déjà vu, parfois perçu comme facile. En revanche, tu le rends qualitatif grâce à un texte bien pensé. Pourquoi ce choix ?
C’est gentil ! À côté de l’humour, je suis aussi journaliste sportif sur la radio LFM. À force d’écouter des interviews, d’en faire et de les réécouter, j’ai remarqué des tics de langage chez l’intervieweur et l’interviewé. Tout est parti d’une chronique sur ce sujet.
J’ai eu un bon feeling en la faisant, et je me suis dit : « il y a peut-être un créneau ». Je suis passionné de sport, et au-delà de ça, certains trucs me faisaient tiquer. Ça agace sur le moment, et on se dit qu’il y a peut-être un pouvoir comique à exploiter.
Blaise Bersinger t’a mis en relation avec Valérie Paccaud pour devenir chroniqueur sur Couleur 3. Comment as-tu abordé cet exercice ?
Pendant l’été 2017, Valérie Paccaud constituait son équipe de chroniqueurs et cherchait de nouveaux talents. Je connais Blaise depuis longtemps, on s’entend très bien sur scène comme en dehors. On va souvent voir des matches du Lausanne Sport ensemble !
Blaise était déjà à l’antenne et avait fait sa place. Il a parlé de moi à Valérie qui m’a contacté pour une chronique d’essai. Ça s’est bien passé et depuis, c’est lancé et ça fait quatre ans que ça dure… Ça se passe dans une ambiance bienveillante, on a un groupe WhatsApp les Bras Cassés qui va plus loin que l’organisation. On s’entraide par exemple sur les chroniques. On en revient à cette ambiance familiale dont je parlais tout à l’heure !
Tu as préparé ton spectacle « Comment on va l’appeler ? » pendant la crise sanitaire. Comment fait-on pour lancer un spectacle sans avoir accès à des plateaux, des moments de test ?
En grande majorité, j’avais pu tester les sketches de mon spectacle avant le Covid, donc ça allait. Mais effectivement, je n’avais jamais joué certaines parties du spectacle. Ça s’est plus ou moins passé comme espéré, il faut que je retravaille certaines parties.
Au-delà de manquer de certains repères et de jouer des choses inédites, c’était plus difficile de voir son spectacle reporté. Deux fois, en plus ! En avril 2020, le CPO Ouchy m’a proposé un décalage en juin, que j’ai trouvé un peu optimiste à l’époque… Un mois plus tard, on reportait à nouveau en octobre.
Cela a-t-il été un mal pour un bien ?
Ces décalages m’ont permis de mieux apprendre mon texte. J’avais passé 3 semaines en Australie en février et j’avais peu de temps pour préparer la première en avril… Il me manquait peut-être un quart, voire plus, de spectacle. Ça m’a permis d’améliorer, de mieux préparer l’ensemble. Entretemps, les scènes ouvertes ont repris et ça m’a permis de tester deux-trois trucs.
C’était super pour octobre (en sachant qu’il y a eu un nouveau confinement peu de temps après) ! Il y avait 150 personnes, certes masquées, mais ça semblait irréel. Cette année, je dois le rejouer en automne. J’espère que ça pourra se faire !
Quels sont les thèmes du spectacle ? J’ai beaucoup entendu le mot « absurde » pour qualifier ton humour, d’ailleurs.
J’essaie de mettre de l’absurde ! C’était une partie déjà rodée avant le spectacle où j’arrive sur scène avec une tête bizarre, les cheveux devant les yeux… Il y a une lumière douche un peu glauque sur moi et je propose un personnage étrange en ouverture de spectacle.
Ensuite, la lumière s’éteint et le spectacle reprend avec du stand-up plus classique. Je parle de mon prénom, Renaud, qui a suscité quelques remarques notamment par rapport à la marque de voitures… Je parle de ma quasi-haine des chiens, des journalistes sportifs et des sportifs en général. Je parle aussi d’un nouvel an foireux à Amsterdam, j’ai un segment d’improvisation…
Je consacre la fin de mon spectacle à la cause féminine. C’était plus les tripes qui parlaient, ça ressemblait presque à un moment TEDx. Les gens étaient parfois déroutés de me voir passer du coq à l’âne, de la légèreté du nouvel an à Amsterdam à un moment prenant, émouvant.
Je vais retravailler cette partie. En effet, dans ma peau d’homme blanc cisgenre, je devrais peut-être aborder certaines choses différemment. Par exemple, chercher à éviter de m’approprier la cause ou de me placer en donneur de leçons. Je dois vraiment trouver les mots justes pour que ce soit à la hauteur de la cause.
La question de jouer dans d’autres pays francophones se pose-t-elle systématiquement pour un humoriste belge ou suisse ?
Je ne sais pas si je suis casanier, prudent ou procrastinateur, ou bien un mélange des trois… Je ne tiens pas à tenter tout de suite de jouer à l’extérieur, en francophonie. Ça fait très footballistique comme terme ! (rires) Ce n’est pas un objectif à court terme dans l’absolu. J’imagine que la crise sanitaire n’aide pas à se projeter non plus…
J’aime jouer sur des références locales. Par exemple, j’aime prendre l’accent vaudois pour interpréter des personnages… ce qui ne s’exporte pas sans adaptation au Point Virgule, au Paname ou autre ! En revanche, je fais l’effort d’écrire de l’humour qui sera compris partout.
Tu n’es pas réfractaire, donc !
Non, bien au contraire ! Ça serait kiffant de tenter l’expérience.
Les humoristes suisses ont une grande tradition de l’improvisation. Lors de la première de ton spectacle, tu t’es plié à l’exercice. Est-ce habituel pour toi, quel est ton rapport avec l’impro ?
J’avais commencé à le faire lors de mes années de théâtre avec des gens comme Malvin Zoia ou Thomas Wiesel. Parfois, c’étaient des spectacles d’improvisation avec un thème donné. Une fois, j’avais vu Thomas faire et ça m’a donné envie de me lancer.
J’ai envie de partager avec le public davantage qu’en récitant simplement mon texte. Certains s’en contentent, et c’est très bien ! J’ai envie de profiter de l’occasion et de proposer ces segments d’improvisation sur scène dès que je joue plus de 20 ou 30 minutes.
Que préfères-tu faire en humour ?
J’avoue que j’aime beaucoup improviser ! Le lien est différent avec le public, il y a un côté naturel qui le met plus à l’aise. Une fois, alors qu’on jouait avec Malvin, quelqu’un a fait tomber sa bière par terre. Tu écarquilles juste les yeux en fixant quelqu’un dans la salle, puis les gens se marrent. Il n’y a pas besoin d’en faire des tonnes, l’essentiel est de ne pas avoir peur d’interagir avec le public pour créer un moment sympa. Ce naturel crée une connivence, une alchimie : c’est vachement jovial !
J’aime bien aussi annoncer une thématique, poser un silence puis lâcher des vannes. Ainsi, le public a le temps de se préparer à ce que je vais dire… Sans anticiper ou deviner le texte, paradoxalement. Il y a deux-trois petits rires qui viennent avant le silence… C’est quelque chose que j’ai appris à proposer avec le temps.
Comme d’autres humoristes locaux, tu es un artiste polyvalent. Est-ce un handicap pour créer un spectacle avec une unité, le bon cheminement ?
Il faut trouver le bon fil rouge, c’est sûr ! Même avec une boîte de production derrière, j’ai construit ce spectacle sans aide extérieure. Cette approche me convenait, et j’étais satisfait du résultat. Surtout dans ce contexte de crise sanitaire et d’absence de la scène assez longue. Bien sûr, il y a eu un débriefing avec le producteur et il y en aura d’autres ! Mais j’ai réussi à construire ça de mon propre chef.
Tu as mentionné à plusieurs reprises Malvin Zoia. Penses-tu que sans lui, tu ne te serais jamais lancé ?
Dès l’âge de 10-12 ans, j’avais déjà envie de faire de l’humour. À 7 ans, j’ai vu le premier spectacle de Jamel en cassette. Je ne jurais que par lui au début, même si je ne comprenais pas les 7/10e de ce qu’il disait. Je trouvais ça fascinant qu’il parle devant un public qui rigole…
Malvin m’a beaucoup aidé, sans le savoir, pour monter sur scène et faire rire les gens. Mon premier passage en solo n’était pas prévu ainsi. C’était lors de la fermeture du Lido à Lausanne. C’était un lieu très apprécié dans la ville et au-delà par des Kyan Khojandi, Navo… Seb Mellia, Yacine Belhousse, aussi.
Quand on a su que ce lieu allait être enterré à jamais, c’était difficile. Chaque artiste qui avait joué son spectacle avait 5 minutes. La veille, Malvin me dit qu’il ne peut pas venir car il a fait une insolation. J’ai demandé à Thomas si je devais quand même venir. Il m’a dit d’écrire un truc, qu’avec un peu de chance, personne ne se souviendrait de moi (rires) et il m’avait mis en confiance tout de suite !
Même s’il ne s’agissait que de 5 minutes et que les gens ne venaient pas pour moi, je réalise vraiment en allant sur scène que je suis seul. Et ça s’est bien passé. Grâce à Malvin, j’ai gagné en confiance, en assurance et en sérénité sur scène. Il a véritablement contribué à ça !
J’ai l’habitude de demander aux artistes leurs références comiques, j’en profite comme tu as cité Jamel…
Contrairement à d’autres artistes suisses comme Thomas ou Marina, je ne me suis pas autant intéressé au stand-up américain. Je ne suis pas aussi à l’aise qu’eux en anglais… donc je me suis intéressé à l’humour anglophone plus tard.
Mes premières références étaient donc françaises. C’est un peu comme dire que j’aime la pizza Margherita, mais des Fary, Gaspard Proust aussi… J’aime bien son côté ultra-lisse, sans trop de charisme apparent mais très punchy. Jamel à ses débuts, aussi. Quand j’étais en duo avec Malvin, j’ai eu la chance de jouer avec Bun Hay Mean. Je le trouve complètement taré ; il est très drôle et très sympa, en plus.
Sinon, mes potes, bien sûr ! Yoann Provenzano, Thomas Wiesel, Blaise Bersinger. C’est génial d’être aussi bien entouré par des talents comme eux. Quand je vois le parcours de Thomas, qui va jusqu’à jouer en Afrique du Sud 15 minutes inédites, c’est dingue.
Un dernier mot ?
Déjà, merci !
Prions pour que tant les personnes comme toi qui s’intéressent à l’humour et les gens directement touchés puissent respirer un peu. Moins se poser de questions sur la tenue des événements, les reports ou les mesures… On verra bien, et faites-vous vacciner ! (rires)
Interview Renaud de Vargas – Le débrief
Convier Renaud de Vargas en interview, c’est un peu aller à la fête foraine et errer avant de gagner le gros lot. Après un envoi de messages qui ferait tourner la tête à l’ancien pongiste Bruno Peki, c’est finalement arrivé.
J’ai trouvé Renaud étonnant, voire touchant, dans sa construction de carrière. Avouer qu’il a eu besoin d’un compère pour franchir le pas avec tant de sincérité est plutôt rare. À certains moments, j’avais l’impression de vouloir prolonger l’entrevue et de parler de nos passions communes… Une chose est sûre : Renaud de Vargas en a, des choses à dire, et sa carrière va forcément en bénéficier ! Et pourquoi pas à Paris, d’ailleurs ? Seul l’avenir nous le dira…