Interview Valère Veya – « À la réalisation, on a une grande liberté »
Interview – Depuis six ans, Valère Veya réalise de nombreuses émissions sur la radio publique suisse. Passé par les infos à la RTS, il dédie aujourd’hui pleinement son temps à la radio la plus cool, Couleur 3. Que ce soit Valérie Paccaud, Yannick Neveu ou d’autres piliers de la station, les retours sont unanimes : le garçon a du talent. On l’a perçu au fil des émissions, on l’a deviné en le voyant simplement entrer dans le studio… Un royaume où ses créations atteignent des sommets !
Ce n’est pas un hasard s’il se ressource dans les montagnes une fois l’antenne endormie. On l’y retrouve dans son studio d’enregistrement, où il réalise des projets musicaux en parallèle. On voulait lui donner la parole et le faire sortir de l’ombre, pour être fidèle à l’ADN de ce média.
L’interview de Valère Veya
Avant cette interview de Valère Veya, il a fallu enquêter car peu d’informations circulent. Fantin Moreno, animateur sur Couleur 3 et musicien lui aussi, me le décrivait en ces termes. « Valère, je sais pas grand-chose de lui. C’est un musicien qui vit reculé dans les montagnes ». Sur internet, on trouve peu de choses sur son parcours.
À quelques exceptions près. D’abord, son travail de maturité (notre baccalauréat couplé à une sorte de projet de fin d’études) : un court-métrage. Ensuite, une mention sur une page de crowdfunding d’un groupe de rock. On le décrivait alors comme un « ingénieur du son peu connu, mais en devenir ».
Quel est ton parcours ? Qui es-tu ?
Tu mentionnais mon travail de maturité. J’étais en option arts visuels, comme je m’intéressais à la musique et à l’art en général. Ensuite, j’intègre l’université de Lausanne dans un cursus en architecture à l’EPFL. Je n’ai pas du tout aimé ! J’ai vite abandonné : le domaine m’intéressait, mais je me suis vite rendu compte que je ne me voyais pas travailler dans cet univers, ni dans un bureau.
Tiraillé entre le rêve d’évoluer dans la musique et l’envie de se garantir un avenir pour rassurer son entourage, Valère trouve le compromis idéal : les métiers du son.
Je côtoyais déjà la musique en amateur, tel un passionné. Je jouais, je bidouillais sur les logiciels d’entrée de gamme mais accessibles à tous (iMovie, GarageBand…). C’était aussi la grande époque des logiciels crackés. Tu les as sous la main, et tu t’amuses comme un fou avec ! En passant des tests d’orientation, les résultats mettaient toujours en avant les métiers du son.
J’ai réalisé que je pouvais évoluer dans cet univers : technicien son, ingénieur son… J’ai enchaîné les expériences, intégré une école à Genève pour acquérir la théorie. Le projet de crowdfunding était le premier gros projet que j’entreprenais après mes études. Concrètement, j’ai enregistré et mixé l’album d’un groupe de rock. C’était prenant, mais ça m’a enrichi totalement et mis le pied à l’étrier.
C’était avant que tu intègres la RTS.
J’étais toujours dans cette optique de trouver un job et je vois un poste à la RTS. Initialement, je n’ai pas été pris, mais le poste s’est de nouveau libéré et j’ai appris en un an le métier : les outils radio, les différentes chaînes… Je ne connaissais pas du tout le monde de la radio, je n’étais pas un consommateur. J’étais plus sur le son, la scène, le live… Il m’a fallu acquérir les codes de la radio et cette première année m’a permis de le faire.
Ensuite, j’ai travaillé avec les journalistes sur les infos. C’était très formateur, ça demandait beaucoup de rigueur. Par la suite, j’alternais entre les infos et Couleur 3. Ce sont deux façons de travailler bien différentes, car Couleur 3 demande beaucoup de polyvalence. Tu touches à tout : la réalisation, la production, même la programmation musicale… Tu fais partie intégrante de l’équipe. Ça fait 6 ans que je bosse à la RTS, et depuis janvier 2022, je travaille exclusivement sur Couleur 3, à la réalisation d’émissions. Jongler entre les deux demandait beaucoup d’énergie, avec des horaires décalés, soit en matinale, soit à minuit…
Quelque part, ça doit être plus simple aujourd’hui. À côté de ça, tu es musicien…
J’ai plus ou moins lâché la guitare. En revanche, en dehors de la radio, j’ai un studio d’enregistrement dans ma campagne. Je peux enregistrer des gens, produire des projets…
À ce stade de l’interview de Valère Veya, j’ai l’impression de me tenir face au producteur le plus mystérieux de la planète, qui ne s’étendra pas sur le sujet. Ce qui m’amène à une autre question.
De ce que je comprends, ce type de métier, c’est plus un métier de l’ombre. Est-ce quelque chose que tu recherches ?
(Pause) Disons que c’est un certain confort, d’être à l’ombre. On n’a pas de coups de soleil, pour le coup ! (Sourire du gars content de son trait d’esprit.)
À la réalisation en radio, tu sers une émission, l’animateur en studio. Typiquement, dans les Bras cassés, tu appuies les propos des gens, tu amènes du rythme… C’est un entre-deux : tu interviens au service des chroniqueurs qui font leur papier, par exemple. Tu appuies leurs propos avec tel style de son, etc.
D’ailleurs, à chaque début d’émission, Valérie [Paccaud] ou Frank [Matter] cite toujours le réalisateur. Je ne sais pas si c’est une pratique courante…
À la réalisation, on a une grande liberté et on fait partie intégrante de l’émission, ça fait partie de l’ADN de Couleur 3. On n’est pas une équipe de 40 personnes derrière la vitre ! On peut interagir assez rapidement, s’amuser, partir en impro… Et un jeu se met en place, ils rebondissent sur les extraits qu’on cale en réaction, etc. Je ne me rends pas compte de ce qu’il se passe ailleurs, par contre.
Les auditeurs peuvent envoyer des e-mails pour réagir à l’émission. Est-ce qu’il est déjà arrivé que certains te soient destinés ?
Oui ! Certaines émissions s’y prêtent plus, comme les Bras cassés où on peut vraiment ajouter sa patte. On te cite lorsque tu interviens avec des éléments sonores. Être cité à l’antenne et participer pleinement aux émissions contribue à ça. C’est aussi le cas pour les programmateurs musicaux, qu’on mentionne également à l’antenne.
La programmation musicale de la station est d’ailleurs saluée par la critique, en quelque sorte.
Réalisateur, programmateur musical et animateur : l’émission s’articule autour de ces 3 postes. Et il y a aussi une émission le samedi, « L’heure boréale ».
Pour préciser, un réalisateur choisit un thème et ajoute des extraits de films, des citations à une programmation musicale en rapport avec le thème.
Oui, le réalisateur a une heure où il a carte blanche, il revêt la casquette de producteur d’émission. On doit simplement intégrer une programmation musicale et autour d’elle, on est totalement libre. C’est une émission bac à sable. Typiquement, j’ai réalisé une émission sur les champignons. J’ai repris un extrait d’une émission où un mycologue se baladait dans la forêt et explique des trucs. Tu mélanges ça avec des sons, des extraits de reportage.
Exemple de masterclass de fiction sonore : une journée à la ferme
C’est comme un mix de Bon entendeur augmenté !
Toute source audio est utilisable, il n’y a pas de structure particulière avec un animateur. On a donc une liberté totale, héritage de l’ADN de radio pirate. Et on crée un produit à partir de séquences, interviews, bruitages, extraits de films, etc. Tu peux créer un truc assez fou !
Je confirme. Revenons à cette capacité à créer une atmosphère drôle, et à intervenir dans les Bras cassés. Ça doit demander un vrai sens de l’humour pour être réactif, trouver la bonne idée… Comment as-tu nourri ça ? Avais-tu la fibre humoristique avant d’être à la radio ?
Je vais te donner un exemple. Je peux me dire : aujourd’hui, je vais m’amuser à utiliser uniquement des voix de Thierry Lhermitte, ou de Jean-Pierre Marielle. J’alimente une banque de sons, je découpe les extraits de répliques très courtes.
Au début, tu les places de temps en temps, puis tu développes une aisance. Tu connais mieux les personnes à l’antenne, tu cernes donc le timing où ils vont arrêter de parler. Ou alors tu anticipes ce dont ils vont parler. C’est vraiment cette connaissance qui permet de placer l’intervention qui fera mouche.
Il faut aussi être très organisé, car tu n’as pas les sons sous la main. Il faut les trier, les mémoriser et vite aller les chercher à l’instant T. Parfois, c’est trop tard, ils sont déjà passés à autre chose. Mais parfois, ça marche parfaitement, et c’est une satisfaction totale !
Ressens-tu du stress quand tu gères l’antenne, le direct ?
Euh (soupir hésitant)… Non, non.
Je pose cette question car il m’est arrivé de superviser des tournages d’entreprise et de gérer de la régie en direct. J’avais beaucoup de mal, le stress me faisait réagir au mauvais moment, je trouvais ça très difficile.
Quand tu commences les émissions en direct, même si tu n’as que deux éléments à faire, le stress est évidemment présent. Tu n’as jamais réalisé d’émission par le passé. Mais à force de faire du direct, de devoir gérer n’importe quelle situation, ça devient plus simple. Et au début, tu te projettes à l’antenne, tu réalises l’impact et tous les auditeurs. C’est comme se retrouver devant des spectateurs ! C’est aussi étrange, car tu ne vois pas ces personnes qui t’écoutent.
Le fait d’avoir travaillé pour les infos, un univers sérieux qui demande beaucoup de rigueur, m’a beaucoup aidé à gérer ça. Les erreurs passent beaucoup moins. À Couleur 3, tu as le droit de commettre des erreurs, mais il faut être réactif pour corriger les problèmes techniques qui se présentent. En prime, l’émission sera beaucoup plus intense, entre les séquences à préparer, la vitesse d’exécution, etc. Parfois même, les problèmes créent quelque chose de marrant !
Après une digression sur l’émission à laquelle j’ai assisté, l’interview de Valère Veya a repris sur une question qui fait débat.
Que penses-tu de la radio filmée ?
Certaines émissions s’y prêtent plus que d’autres. Pour les chroniques, c’est bien de pouvoir isoler l’extrait en vidéo, ça permet aux artistes de la diffuser sur leurs réseaux, par exemple. Mais la radio filmée a un peu cassé la magie de la radio, enlevé une part de mystère. C’est comme tout, il y a des avantages et des inconvénients.
En radio, il y a également des interviews de personnalités publiques. Par exemple dans la 3ème mi-temps, les commentateurs de la Formule 1 suisse en profitaient pour venir en famille et aller voir les coulisses d’une radio. Est-ce que ces personnalités viennent fréquemment voir l’envers du décor ?
Tout dépend du temps passé à l’antenne, s’ils passent en coup de vent, ce n’est pas toujours possible. À l’inverse, ça m’arrive aussi de me déplacer dans le studio.
Tu n’es pas forcément cantonné à ta tour de contrôle ! Mais la question que j’avais en tête, c’était de savoir s’ils s’intéressent, te posent des questions, etc.
Parfois, oui. Je me souviens de la venue d’Orelsan : il se baladait partout, c’était sympa.
Il y a un côté impressionnant à voir les coulisses… En tout cas, c’est ce que j’ai ressenti.
Je ne me rends pas compte, car c’est ma maison, quelque part ! C’est devenu mon salon…
Et il y a deux écoles pour réaliser : être assis ou debout.
Je préfère être debout, ça permet de mieux réagir. Tu n’es pas dans une position passive, qui t’incite à être posé. Tu peux carrément sauter ! (rires) Tu peux aussi te cacher, faire mine que tu n’es pas là, derrière la vitre… C’est drôle à faire !
On en revient à l’importance de manier le sens de l’humour.
(Il se confesse enfin.) J’aime bien déconner, taquiner les gens, c’est vrai. Le tempérament d’une personne aux manettes peut clairement influencer une émission. Être un farceur, c’est un atout pour réaliser les Bras cassés ! Et ça va de pair avec la liberté de l’antenne.
Pour la question, j’ai voulu embrayer sur l’atout d’avoir un background musical pour travailler à la radio, et la réponse était évidente : oui. À la fois pour connaître et mobiliser les différents genres, savoir quelle ambiance musicale ajouter à une chronique, etc. Une digression plus tard, Valère anticipe une question à laquelle je n’avais pas pensé, mais qui est très pertinente. Reprenons.
As-tu déjà eu envie d’être de l’autre côté du micro ?
Clairement, non ! Je ne sais pas si j’ai une voix radiophonique, je suis soulagé que l’interview soit écrite. D’ailleurs en parlant d’écrit, l’écrit, ce n’est pas mon fort. C’est pour ça que je fais du son ! Je suis dans un domaine dans lequel je me sens à l’aise pour amener des choses intéressantes.
Quel est ton meilleur souvenir à l’antenne ?
Ai-je précisé que j’ai une mauvaise mémoire ? (rires)
Justement, je me posais la question tout à l’heure. Parce que pour dégainer des extraits, il faut avoir une bonne mémoire. Peut-être que ta mémoire est sélective ?
J’ai une mauvaise mémoire des noms, des mots. La réponse bateau que je pourrais te dire, c’est que je n’ai pas de meilleur souvenir ! J’ai partagé de très bons souvenirs… (rires)
Dernièrement, on a fêté le nouvel an des Bras cassés à l’antenne. C’était cinq heures de direct, je pouvais me faire remplacer au cas où. Mais emporté dans mon élan, j’ai assuré toute la réalisation de l’émission. Elle a même continué jusqu’à une heure et demie du matin ! C’est ce genre d’émission exceptionnelle où tu sais que ça va être un peu sport. Finalement, tu te prends au jeu, tu ne veux même plus rendre l’antenne. Tu vois que tout le monde a du plaisir, tu te rends compte que ce que tu es en train de faire… Tout le monde passe un bon moment, est content.
Finalement, les bons souvenirs sont ceux où tout le monde s’est donné à fond. Chacun est content de l’expérience partagée et de la qualité du produit fini. Ce n’est pas forcément la folie du truc, le meilleur fou rire… C’est comme quelqu’un qui sort un super album de musique, dont il est super content du résultat. Peu importe le nombre d’écoutes… on s’en fiche, du moment que tout le monde a eu du plaisir à le faire.
Le fait de briller ou de se mettre en avant ne m’intéresse pas beaucoup. Ma priorité, c’est le produit fini, l’ambiance et le travail fourni par tout le monde. Je préfère être dans l’ombre et produire un super travail avec quelqu’un, plutôt que de capter la lumière seul et produire du moins bon travail.
Interview Valère Veya – Le débrief
Cette interview de Valère Veya montre à quel point le collectif compte à la radio. À l’inverse du stand-upper solitaire, Valère est plus proche d’un improvisateur qui s’appuie sur les autres pour créer. S’il peut avoir carte blanche sur certaines émissions, sa contribution aux Bras cassés est largement saluée par ses pairs.
Tapi dans l’ombre, mais maîtrisant parfaitement les codes de l’antenne, il parvient à briller même sans apparaître sur vos flux d’actualités. Plus qu’une cheville ouvrière, Valère est en quelque sorte le « gars sûr » sans lequel les Bras cassés n’aurait pas la même saveur. Après tout, lui aussi déclenche le célèbre rire de Valérie Paccaud ! Et sans doute le vôtre, si vous prêtez l’oreille.
Crédits photo
© Aurélie Blanc – RTS