Interview Valérie Paccaud – « Les Bras cassés, c’est comme un dîner chez moi »
Valérie Paccaud est une touche-à-tout. Outre l’animation des Bras cassés sur Couleur 3, elle fait naître des expériences comiques sur scène comme dans les médias. En outre, elle détecte et forme la nouvelle génération humoristique suisse-romande.
Ne lui demandez pas de tirer la couverture sur elle : cette femme des ondes préfère le faire au dire. Cette anti-héroïne de la comédie s’avère pourtant assez fascinante… Jugez plutôt !
L’interview de Valérie Paccaud
Comment te présenterais-tu au public français ?
Ça fait 20 ans que je fais de la radio, chaque jour à l’antenne. (pause) Je t’avoue que j’ai un peu de peine à parler de moi.
Je vais te dire comment je te présenterais. Tu es la version suisse de Nagui : tu repères des humoristes, tu as une émission sur la radio publique…
Si tu veux un portrait-robot de moi, je me définirais comme une touche-à-tout. Couleur 3 est importante dans mon histoire : c’est une radio unique dans la francophonie. Elle fait autant de musique indépendante et grand public que de l’humour. On fêtera les 40 ans de Couleur 3 en 2022. C’est une chaîne qui engage des auteurs, contrairement à des Rire et Chansons où l’on diffuse des sketches déjà écrits.
Ça continue à être une sorte de laboratoire où il faut savoir tout faire. De l’humour, du sketch, de la fiction… J’ai démarré sur la fiction. À la base, je voulais faire du théâtre, j’ai suivi des cours pour ça. En radio, j’aimais la musique, les interviews, l’humour, l’écriture. Couleur 3 réunit tout ça.
Les Bras cassés, c’était le premier talk-show de Couleur 3. Le pari, c’était de proposer quelque chose de qualitatif avec un budget limité, ce qui a ouvert la voie à de nouvelles têtes. L’émission est en direct et filmée, ce qui suppose qu’ils soient tout de suite dans le bain. C’est sans filet.
Autant je te comparais à Nagui, mais il existe une différence. Au lieu d’interrompre les chroniqueurs, tu les gratifies de tes rires !
J’aime rire, on est quand même là pour ça ! Le tout premier article sur moi, il y a 20 ans, s’appelait « Quand Valérie rit ». Parfois, je me dis que quand je serai morte, on ne se souviendra que de ça ! (rires)
J’apprécie beaucoup les gens qui sont autour de la table. Ils me font rire, et je ne ris jamais en me forçant. Je souris quand c’est une blague moyenne, j’éclate de rire quand c’est très drôle… J’accompagne certains chroniqueurs, parfois depuis leurs débuts…
Tu es également celle qui donne la chance aux chroniqueurs d’intégrer la bande des Bras cassés. Comment assures-tu ce repérage ?
C’est une sorte de mix ! Je mise sur le bouche-à-oreille, je regarde les artistes sur Instagram… Cela peut aussi être des gens qui me font rire, une rencontre fortuite. Certaines personnes m’écrivent et me proposent des candidatures spontanées avec des papiers, par exemple. Je cherche des gens avec un truc, du vécu, du bagout. Faire rire dans un bar, c’est un bon signe… mais il faut aussi savoir écrire ! Tout le monde n’a pas ce talent.
J’aime également mélanger tous les âges (nos chroniqueurs ont de 20 à 50 ans). Dès lors qu’une personne a de la répartie, une vision du monde bien à elle, elle a sa place. Il faut aussi de l’originalité pour aller plus loin que les phrases rigolotes qu’on peut voir passer sur les réseaux sociaux. C’est comme en société : il faut se mélanger, ne pas rester entre personnes du même âge. Sans mixité, ça devient clivant.
Pour jauger le talent d’un chroniqueur, je lui propose d’assurer la chronique « La journée mondiale ». Cela permet de voir comment il se débrouille sur un sujet de société. En effet, certains stand-uppers sont très concentrés sur eux-mêmes et peaufinent sans relâche le même texte. Dans cet exercice de radio, c’est tout le contraire qui se produit ! Il faut donc vérifier s’ils sont endurants sur d’autres terrains ! Embarquer les gens sur un point de vue, un sujet de société, c’est essentiel.
Comment formes-tu ces talents ? Bruno Peki me disait beaucoup de bien de ta manière d’intégrer les nouveaux venus, mais il est si adorable, en même temps…
Oui, il est chou ! C’est le benjamin, il a 21 ans, peut-être bientôt 22 même ! (rires)
Je vois l’émission comme un dîner chez moi. Une table où l’on essaie de passer une bonne soirée en plaçant les bonnes personnes autour de la table. La différence, c’est que chez toi, tu peux inviter quelqu’un qui n’a rien à dire… En radio, c’est plus compliqué !
Tout le monde doit avoir quelque chose à dire et les trios doivent se compléter dans leurs forces. Actu, musique, cinéma, impro. Ils et elles ont tous un domaine où ils sont plus à l’aise et certains ont tous les dons ! (rires)
Pour revenir au dîner, je suis la maîtresse de maison qui lance des sujets, amène des plats… Et chacun doit pouvoir apporter sa pierre à l’édifice, commenter les plats, etc. C’est une sorte de repas canadien où tout le monde amène quelque chose à manger.
Lors de la première d’un chroniqueur, je l’intègre comme si c’était un ami autour de la table. Je sais exactement ce qu’il va dire, je suis là en soutien si besoin. Cela doit se faire le plus naturellement possible !
C’est très familial, ça se ressent bien à l’antenne !
Effectivement. C’est un petit pays, un petit milieu, une petite ville… On se connaît tous de près ou de loin, dès lors que tu fais de l’humour en Romandie.
Les artistes suisses sont d’ailleurs de plus en plus en vue en France.
J’ai l’impression que petit à petit, la Suisse n’est plus un si grand mystère grâce à des Marina Rollman, Alexandre Kominek… On est presque des Français, avec un accent un petit peu plus bizarre mais une culture assez française. N’importe quel suisse a grandi avec la télé française. On connaît presque mieux la politique française que la nôtre…
Pour en revenir aux talents, il y a une tendance à voir quelques improvisateurs à l’antenne. Savoir improviser, est-ce essentiel ?
À l’antenne, il faut savoir faire un peu d’improvisation… Mais le concept d’improvisation pure à la radio ne fonctionne pas. C’est carré. Il y a des horaires à respecter, alors qu’en improvisation, ça peut partir dans tous les sens ! Par ailleurs, en spectacle d’improvisation, il y a un public. C’est lui qui sera galvanisant et qui guidera les improvisateurs sur scène.
Tout est écrit en radio, même si ça n’en a pas l’air. On a un vivier d’improvisateurs, mais tout le monde ne vient pas forcément de ce monde. Un Alexandre Kominek, par exemple, je ne pense pas qu’il en soit issu. C’est un stand-upper qui a bossé tout seul, s’est formé sur scène pendant des années face au public.
Le point commun, c’est le spectacle, le divertissement et il faut savoir se renouveler pour proposer quelque chose de différent tous les jours.
Monter sur scène pour faire du stand-up, c’est ta prochaine étape avec l’ouverture du Couleur 3 Comedy Club…
Oui ! Outre la présentation, je vais assurer un passage de cinq minutes comme le reste de la bande des Bras. Avec mes 20 ans d’antenne et mon expérience du direct, j’ai tous les jours la parole et je dois écrire quelque chose de nouveau. En revanche, je ne sais pas encore comment je vais me positionner, quelle thématique je vais aborder…
C’est un nouveau challenge après la pièce de théâtre Les gens meurent. C’était ma première expérience sur scène dans une pièce de théâtre. Contrairement à l’improvisation où l’idée du moment prime, l’exercice est très carré. Les répétitions sont très nombreuses pour parfaire la création, l’écriture, la mise en scène de la pièce. Le stand-up est différent : tu es à poil, tu ne te caches pas derrière un personnage. Peut-être que je parlerais de mon chat que je n’ai pas ! (rires)
Tu ne sais pas ce que tu vas aborder, donc ?
Non, mais ça ne me fait pas peur. En radio, je bosse dans l’urgence, avec des échéances. Cependant, il ne m’arrive jamais de ne rien faire : j’écris ou je crée toujours quelque chose. Je prends des notes ou des photos de choses dans la rue, puis je mixe tout ça pour en tirer de la comédie.
Cette première sera super, j’en suis sûre !
Non, ce sera raté car ce sera une première ! J’assume le fait que ça ne sera pas parfait. Ce sera passable, cela dépendra de la salle. Ce sera un truc collectif, ça s’appellera « Crash test »… On pourra se lâcher plus qu’à l’antenne.
Comment as-tu abordé le défi de faire la pièce Les gens meurent ? Ça n’a pas été un long fleuve tranquille…
Reprendre le collectif de Bon ben voilà, c’est réunir 5 forts caractères avec de gros égos, moi y compris ! Avec Bon ben voilà, on pouvait se répartir l’écriture des sketches, puis les agrémenter avec toutes nos idées. C’était plus simple que pour une pièce. Pour prendre un exemple musical, on ne se répartit plus les chansons d’un album, on compose un opéra ensemble.
On est toujours sur scène, il n’y a pas de coulisses où certains s’éclipsent au profit d’autres. Le défi, c’est de mener à bien un projet et de faire vivre 5 personnages drôles, qui conviennent à chacun. On a eu des désaccords, on a voté pour trancher, parfois ça n’allait pas. On a tous mis un peu d’eau dans son vin pour faire naître un fil rouge, puis reprendre à zéro. Là, on a scindé le travail en deux : trois personnes à l’écriture et deux à la relecture. Ensuite, une dramaturge a ordonné le tout, puis on s’est retrouvé de nouveau à cinq.
La mise en scène de Tiphanie Bovay-Klameth et son œil extérieur a tout changé pour consolider le scénario. Quand ça a pris forme, on a arrêté de s’engueuler pour commencer à s’aimer très fort. On était désormais fiers de ce qu’on avait produit, et on se réjouissait que toutes ces engueulades servent à ce beau résultat.
Un beau résultat qui va déboucher sur une tournée…
Un autre pari ! On a écoulé les billets des trois semaines à Lausanne en une semaine. Ça nous a montré qu’on nous attendait ! Des noms comme Blaise Bersinger ou Yann Marguet ont attiré du monde… Il fallait contenter ceux qui allaient les voir pour retrouver leurs univers, tout en étant à la hauteur de leurs espérances. La pièce mêle plusieurs genres d’humour, mais je pense qu’on a réussi à synthétiser ce qu’on était dans une pièce, pas seulement des sketches.
Tes références humoristiques sont plutôt British, si j’ai bien compris, avec les Nuls aussi… Pourquoi cette préférence ?
Les British sont très forts ! Fleabag, je trouve ça brillant, tout comme Absolutely Fabulous avec Dawn French et Jennifer Saunders. Quand j’ai commencé, elles étaient des modèles. Elles avaient un show du même nom, French and Saunders, où elles reprennent des scènes mythiques de cinéma en jouant tous les rôles.
Elles ont balisé le terrain pour bien d’autres comédies. Little Britain a suivi le mouvement, par exemple. Elles étaient déjantées, c’était bien écrit et c’était un truc surtout féminin. Elles ont repris L’exorciste, Le parrain ou encore Liaisons fatales et elles se marrent… Tout l’humour anglais est tellement subtil, avec une véritable importance pour les seconds rôles. C’est comme si tout le monde savait jouer, pas seulement les têtes d’affiche !
Dans les séries, j’adore aussi The IT Crowd. Ces 3 personnages marchent hyper bien ensemble, c’est vraiment bête ! Il y a un truc d’enfance, des adultes qui n’ont pas grandi. C’est un peu le secret : avoir envie de toujours avoir 8 ans et de faire n’importe quoi !
Dans les Français, les Nuls sont clairement une grosse influence. J’aime les humoristes d’antan. J’adore Guy Bedos, Pierre Desproges… Sylvie Joly, aussi.
Bedos et Desproges, ce sont des mecs qui pouvaient être seuls sur scène sans artifice. Tout tenait sur leur personnalité et leur vision du monde. Et même si l’écriture était très différente, on sentait une base commune. Il en va de même pour leur humanité. C’est une autre époque, bien sûr. Haroun est dans cette lignée, je l’aime beaucoup.
Tu assures l’animation des Bras cassés avec Yannick Neveu, qui a brillamment assuré l’intérim lors de cette dernière saison. Il m’a confié être intimidé à l’idée d’apporter le même niveau de qualité à l’animation, en tant que fan lui-même. J’imagine que vous avez échangé et beaucoup collaboré pour que ça marche ?
J’ai engagé Yannick dans l’un des premiers castings des Bras cassés. Il est très consciencieux, à l’écoute, il a envie d’apprendre… Yannick fait partie de ces gens qui savent se remettre en question, qui ne se reposent pas sur leurs acquis. Il est toujours preneur de remarques, c’est la bonne attitude pour avancer.
Pour travailler sur la pièce, j’ai baissé mon temps de travail et je lui ai proposé de me remplacer les jeudis. Il a pris la formule comme je l’ai posée, puis il a trouvé son propre truc. À la rentrée, il assurera la Matinale. Je suis sûre que ça sera bien car il a envie de bien faire. Il va se révéler sur un projet qu’il fabriquera tout seul !
Je lui ai donné des conseils pour ne pas se faire bouffer par les autres. L’animation, c’est presque un rôle de juge où il faut les ramener au calme, les remettre en ordre de marche. Même dans le bordel, ça doit rester carré !
Les Bras cassés reviennent à la rentrée, n’est-ce pas ?
À la rentrée, je serai toujours à l’animation des Bras cassés, avec Frank Matter à ma place les jours où je serai absente de l’antenne. On prépare une nouvelle formule en 2022 pour s’adapter à des budgets plus resserrés et la tournée de la pièce. Il faut trouver la bonne formule : va-t-on bosser avec moins de personnes, adapter les rendez-vous ? Ça reste à définir !
Après, ce n’est pas le concept de l’émission qui fait l’émission, mais les gens autour de la table. L’idée, c’est de faire rentrer de nouvelles personnes qui ont des choses à dire, qui sont drôles ! Je continuerai tant que je me marrerai. J’ai de la chance de faire ce métier et d’être entourée de tant de personnalités différentes et tant de bêtise !
Interview Valérie Paccaud – Le débrief
Cette interview de Valérie Paccaud s’est fait attendre, mais cela valait le coup ! Parfois, on cristallise de loin un soutien artistique qui retombe comme un soufflé. Cette après-midi d’août n’avait rien de tel. Elle continuait de nourrir mon admiration pour cette figure emblématique du paysage audiovisuel suisse-romand…
Juste après l’enregistrement, je lui ai montré mon exemplaire du livre Le mur de l’amour que je trimballe toujours avec moi. Grâce à cette pièce radiophonique écrite avec Crystel Di Marzo, elle a reçu le Prix du texte au Festival du théâtre radiophonique francophone, Les radiophonies. De son propre aveu, c’est l’une de ses plus grandes réussites artistiques. Je vous la conseille fortement, elle est hilarante même en format textuel. L’immersion devait être folle en radio, avec MC Solaar en narrateur… Oui, rien que ça !